Audiodescription et narrativité

Faire voir presque la même chose.

Audiodescription et narrativité.

Projet: présentation de l’audiodescription, de ses rapports avec la perception de l’image et du cinéma, de son rôle dans la narration et de l’élaboration du texte en conséquence.

Table des matières

Chapitre I:

I-1 Définition et ambition:

I-2 :Expériences: 

1- Extrait sonore Harry Potter 4. Le Labyrinthe. (3 minutes environ)

Le départ : les manques

2- Extrait sonore audiodescription Harry Potter 4 – Le Labyrinthe ( 3 minutes). L’arrivée: les images en mots.

I-3 Mémoire et imagination/ Reproduction et production d’un monde :

Chapitre II : La perception de l’image.

Intro:

II-1- Qu’est-ce que voir une image ? 

II-1-a: Exemples concrets d’interprétation: Exemple classique gestalt :

Image du vase de Rubin.

II-1-b: Expériences de Kogan sur la « Cécité accidentelle ».

Le verre de lait

La voiture

Le couple à table

II-1-c: L’échantillonnage  :

Le couple, trajets visuels 1

Le couple trajets visuels 2

II-1-d: Le voyage de l’œil. 

II-1-d-1:  L’embryon d’histoire.

II-2- Analyse de l’image.

II-2-a La composition, mythes et réalités. 

L’écluse de Willy Ronis.

II-2-b Analyse de l’image (suite) : La multi-réalité des images

Certains l’aime chaud

Matériau

Fabrication

Diégétique

II-3 Implications pour le descripteur

II-3-a Passerelles entre image et texte.

II-3-b Obstacles. Les impossibilités, les pertes… 

II-3-b-1

Le temps représenté dans l’image :De la surprise à la contemplation.

Cartier Bresson- la gare Saint Lazare.

Persée et Andromède

II-3-b-2

Le temps de perception de l’image et le temps de perception du texte:

II-4 Conclusion sur la perception de l’image fixe:

Implications pour le descripteur : L’approche phénoménologique.

II-4-1 Exemple: l’ouvrier meuleur

Chapitre III- La perception du film.

III-1 Intro : 

Approche phénoménologique. L’ immersion.

III-2

Quel est le sens du film ? 

III-3 Perception du film et Audiodescription

Chapitre IV: La transposition en texte.

IV-1 Réalité diégétique et extra diégétique.

IV-2–La caméra narratrice. L’œil aux supers-pouvoirs :

IV-2-b Limitations volontaires:

IV-3 Attention à la dérive explicative du texte.

IV-4 La contrainte du temps. Les choix : une rude négociation

IV-4-b. La voix, véhicule de la sensation immédiate : 

CONCLUSION

Annexe : Exemple concret

Extrait Harry Potter 4- Scène du labyrinthe, discussion des choix.

Faire voir presque la même chose.

Il n’existe pas pour l’instant de texte (note) établissant les bases théoriques de l’audiodescription et ce colloque est pour moi l’occasion de poser les premiers jalons de ce travail, en essayant de présenter l’audiodescription dans son rapport intime avec la narration.

(Note de bas de page : Il existe bien un texte officiel, la « charte de l’audiodescription », qui est malheureusement une méthode aussi simpliste qu’erronée. Ce texte prétend imposer une sorte de mode d’emploi mécanique qui trahit l’ignorance manifeste par ses auteurs de 50 ans d’études sur la perception de l’image et du cinéma)

Chapitre I: Définition et ambition. 

L’audiodescription a principalement pour but de rendre accessible un film, une image ou toute oeuvre visuelle à un public non voyant ou mal voyant. L’audiodescription ne doit pas être considéré comme une simple « béquille », un pis-aller réservé un public handicapé. C’est une activité artistique à part entière. La description d’une œuvre d’art, ou « ekphrasis »,  fait d’ailleurs partie de l’histoire de la littérature depuis l’antiquité. 

Même si aujourd’hui l’audiodescription existe surtout pour répondre au besoin du public des déficients visuels, elle peut également être une manière de « voir » un film pour un public sans problème de vue (en voiture ou en train par exemple).

J’ai été formé à l’audiodescription par Marie-Luce Plumauzille, la pionnière de l’audiodescription en France, et depuis plus de 10 ans, j’ai décrit et enregistré près de 120 films, longs ou courts métrages, des pièces de théâtre, des expositions, des monuments historiques… Cette expérience concrète m’a permis d’affiner ma pratique et d’avancer dans ma réflexion. Son rôle de passeur met la description au carrefour de nombreuses disciplines: l’image, le cinéma, l’écriture, la narration, mais aussi la psychologie, la sémiologie, l’étude de la cognition en général. Un domaine extraordinairement vaste. Je vais essayer de faire le tour des différentes étapes de ce travail et je serai forcé de ne faire que survoler plusieurs disciplines très complexes.

Faire voir presque la même chose :

Pour remplacer les images, les recréer dans l’imaginaire du spectateur, notre moyen sera donc d’écrire un texte. Ce texte sera parfaitement calé entre les dialogues et les bruitages, il sera ensuite interprété par un comédien. Le descripteur met en mots des images selon son regard et son interprétation, en se soumettant à une grande exigence de fidélité à l’oeuvre originale.

Pour un film, il s’agit de transposer une expérience sensorielle utilisant la vue et l’audition, en une autre expérience sensorielle qui n’utilise plus que l’audition (ou une interaction entre ce qui reste de la vue et l’audition pour les personnes malvoyantes). L’objectif est d’arriver à ce que ces deux expériences soient les plus proches possible. 

Nous sommes dans la position d’un traducteur et je me permets de m’inspirer du livre d’Umberto Ecco sur la traduction, « Dire presque la même chose », pour en faire ma devise : « faire voir presque la même chose ». Notons au passage qu’Umberto Ecco classe ce type de transposition, de traduction entre deux systèmes de signes différents, dans les « traductions intersémiotiques ». C’est-à-dire qu’il ne considère pas cela comme véritablement une traduction, mais comme une adaptation. Je partage totalement ce point de vue en ce qui concerne l’audiodescription, nous réalisons une adaptation de l’œuvre originale (note 2).

(Note bas de page 2 :Du point de vue du Code de la Propriété intellectuelle, cette adaptation, la version audiodécrite, est une œuvre appelée oeuvre dérivée ou composite et ne peut se faire qu’avec l’accord des ayants droits de l’œuvre originale.)

Le projet n’est pas gagné d’avance et je sais que pour certains (des réalisateurs de cinéma par exemple) il est à priori impossible de restituer un film ou une image par des mots. En fait, c’est possible, dans une certaine mesure, et certains réalisateurs ont pu être surpris du résultat quand ils se sont donné la peine de l’écouter. C’est possible parce que la façon dont l’image est perçue a beaucoup à voir avec la manière dont nous le langage fonctionne. Il y a de grandes similitudes et de grandes différences entre l’image et le langage parlé, nous devons nous y confronter dans notre pratique.

I-2 :Expériences:

Il est essentiel de faire l’expérience, de ressentir, les différents aspects que nous allons aborder.  (Cette notion de ressentis, de sensations, me paraît essentielle dans le domaine de l’image en général et du cinéma en particulier.)

Écoutons pour commencer un court extrait de film sans images, uniquement  la bande sonore, pour essayer de nous rendre compte de ce que peut ressentir une personne privée des images lorsqu’elle est devant un film. 

1- Extrait sonore Harry Potter 4. Scène du labyrinthe. (3 minutes environ): Bruits de feuillage, d’une respiration inquiète, effets musicaux dramatiques ou inquiétants, bruit de pas, de course, cris de peur, etc.

Voilà, pour notre public, ce qui est perçu initialement du film. 

Je ne vais pas me lancer dans l’analyse de cette bande sonore assez fournie, mais disons quelques mots sur l’expérience: on constate qu’on perçoit et qu’on comprend un certain nombre de choses. Les quelques phrases de dialogues nous donnent des informations parcellaires, les bruitages également, et la musique ajoute une couleur émotionnelle aux différents passages. On ressent donc déjà beaucoup de choses, on reconstitue des fragments de l’histoire, mais il reste de nombreux « trous », des manques qui nous laissent perdus. Nous n’arrivons pas à reconstruire une narration cohérente et nous décrochons. Notre esprit se met à vagabonder, il faut faire un réel effort pour rester concentré et on s’ennuie rapidement. 

Une partie importante de la narration, celle apportée par les images, est manquante, et le mécanisme se grippe. C’est un peu comme une horloge dont on aurait enlevé un des engrenages. 

Il va nous falloir remplacer les images par un autre « moyen de transmission », qui sera donc un texte de description. Pour élaborer ce texte, il faudra nous intéresser aux rapports entre les images et l’ensemble du film : la bande-son, les dialogues, le montage, la musique… Tous les éléments qui interagissent pour constituer la narration qui porte le film. Il nous faut essayer de comprendre comment le mécanisme global du film fonctionne pour pouvoir le remettre en route.

Passons directement au résultat final et écoutons la même séquence audiodécrite.

2- Extrait sonore audiodescription Harry Potter 4 – Le Labyrinthe ( 3 minutes). Le texte de la description est en annexe.

Voilà le travail que nous avons fait pour recréer les images. J’espère que nous avons correctement travaillé et que vous avez pu « voir » le film. Un élément me semble immédiatement frappant, c’est que le même extrait paraît soudain beaucoup plus court. Nous sommes captés par l’histoire, nous nous enfonçons avec Harry Potter dans le labyrinthe.

I-3 Mémoire et imagination/ Reproduction et production d’un monde :

Volontairement, je ne vous montre pas la version originale de la séquence avec les images. J’ai en effet constaté que, si l’on a vu le film avant, la version audiodécrite fonctionne avec les images que l’on a en mémoire. Notre imagination  ne recrée pas ses propres images et ne peut faire que reproduire celles qui ont déjà été vues.  Il est alors difficile de se rendre compte si le texte fonctionne réellement bien. Il me semble que, lorsqu’on n’a pas vu le film avant, on va chercher dans notre cerveau nos propres images dans notre propre catalogue intérieur, que notre imagination peut commencer à produire un monde.

Expérience d’autant plus riche que, comme le dit  Paul Ricoeur dans Métaphore et imagination, « l’imagination à la faculté de se répandre en toutes directions, de réanimer des expériences antérieures, de revitaliser des souvenirs dormants, d’irriguer les champs sensoriels adjacents. » 

Quoi qu’il en soit, c’est sans doute notre mémoire que nous utilisons à chaque fois. Lorsque la description mentionne un élément, par exemple un arbre ou une racine, nous pouvons recréer cette image parce que nous avons en mémoire tout un stock d’images d’arbres et de racines.

Si nous évoquons un objet inconnu, nous sommes incapables de le « voir ». Il nous faut alors fonctionner par analogie pour créer une nouvelle image mentale. 

Je vais essayer maintenant de rentrer un peu plus avant dansles étapes de mon travail et présenter les différents paradoxes auxquels le descripteur est confronté.

Pour définir le but et les moyens de cette transposition, revenons au tout début du processus

En premier lieu le descripteur regarde l’image, regarde le film. Qu’est ce qu’il voit exactement ? Qu’est-ce qu’on « fait » quand on regarde une image? Quelles questions cela soulève-t-il sur l’action de voir un film ? (J’emploie bien sur le mot action volontairement). 

Chapitre II : La perception de l’image.

Intro:

Avant de m’attaquer au  fonctionnement complexe du cinéma, je vais commencer par m’interroger sur la manière dont nous percevons l’image fixe.

II-1- Qu’est-ce que voir une image ? 

J’entends ici par image un objet à deux dimensions ( avec un effet en trois dimensions dans la plupart des cas), contenu dans un cadre matériel défini, fabriqué dans l’intention d’être montré à quelqu’un d’autre pour lui communiquer quelque chose. Pour simplifier, je vais me cantonner, à l’image figurative qui me semble la plus évidemment narrative.

La perception de l’image mériterait certainement que l’on y consacre entièrement un colloque, il existe un nombre considérable de travaux dans ce domaine, issus de différentes écoles parfois contradictoires et malgré tout souvent complémentaires. Mon ambition n’est donc pas de donner une réponse à cette question, mais d’en faire un tour rapide en retenant les éléments qui me sont utiles dans ma pratique professionnelle, de façon pragmatique, et en recherchant plus particulièrement les rapports de l’image avec la narration.

II-1-a: Exemples concrets de perception: Exemple classique gestalt : 

Une image ne peut se réduire à un inventaire. Ce serait une grossière erreur de s’imaginer que l’on peut rendre compte d’une image en se contentant d’énumérer les éléments qui s’y trouvent du premier au dernier. 

Voilà un exemple bien connu qui met en évidence la globalité de l’image, et que « le tout est supérieur à la somme des parties ». Les relations entre les éléments sont prépondérantes dans la perception globale.

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1 Vase de Rubin

En fonction de ce que l’on considère comme étant le fond ou la figure de l’image, ce qui est vu change (soit deux visages, soit un vase.)

Nous pouvons donc déjà nous rendre compte que nous pouvons « voir » deux choses différentes dans la même image en fonction de la manière dont nous la lisons, dont nous l’interprétons.

Je note au passage que les deux images sont porteuses de deux narrations potentielles, si cette image illustrait un récit dans lequel un vase est un objet important, c’est ce que l’on verrait immédiatement. Si l’histoire portait sur deux personnages, c’est la vue de deux visages qui nous apparaîtrait.  

Les images de ce type ont cependant le défaut d’être très schématiques et de s’éloigner des images auxquelles nous sommes confrontées habituellement.

II-1-b: Expériences de Kevin O’ Regan sur la « Cécité accidentelle ».

J’ai recherché des études sur des images plus « habituelles », plus complexes et plus riches. Je me suis intéressé à des travaux récents de J. Kevin O’Regan  actuellement, directeur du Laboratoire de Psychologie de la Perception,
Centre National de Recherche Scientifique.

Je le cite : « Experience is not something we feel but something we do: a principled way of explaining sensory phenomenology, with Change Blindness and other empirical consequences »)

( Que je traduis approximativement par « Percevoir n’est pas quelque chose que nous recevons, mais quelque chose que nous faisons…. »)

Kevin O’Regan nous propose de regarder des images qui sont interrompues brièvement par un « blanc » ou l’apparition de tâches. Un élément change à l’intérieur de l’image et la consigne est de trouver lequel. Toutes ces images animées sont disponibles sur le lien : à compléter.

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2- Premier exemple: le verre de lait

Photo en noir et blanc : un homme en costume cravate montre un verre de lait qu’il tient à la main.

Ici le changement est évident, il saute aux yeux. Il est certain que le verre de lait est un des éléments déterminants de cette image. C’est une sorte de micro narration ou un homme semble vanter les bienfaits du lait. Le verre de lait en est donc un élément essentiel.

3- Deuxième exemple avec une interruption par des taches

Photo d’une avenue d’une grande ville. Une voiture noire suit une fourgonnette blanche qui suit un autobus bleu.

Quel élément change dans l’image ? Cette fois-ci l’élément est beaucoup plus difficile à déterminer. Il faut voir plusieurs fois l’enchaînement des deux images pour le détecter. Pourtant, sa taille est comparable avec celle du verre de lait.

5- Image animée du couple à table.

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Sur l’image de ce couple à table, l’élément qui change ne se détecte pas non plus immédiatement. Ce n’est qu’une fois qu’on l’a découvert qu’on se rend compte de son importance et qu’il nous saute aux yeux.

II-1-c: L’échantillonnage  :

Nous savons que notre perception se fait par échantillonnage continu, une alternance de mouvements de l’œil et de fixations brèves. Nous n’avons conscience, ni de la multiplicité des « vues » successives, ni du flou durant les mouvements oculaires, et nous interprétons de façon illusoire notre perception comme celle d’une scène stable et continue.

L’équipe de Kévin O’Regan a déterminé les mouvements de l’œil opérés dans les premières secondes par les personnes regardant cette image à la recherche de la modification:

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Ils ont constaté qu’au bout de dix secondes, chez les personnes qui pourtant cherchent toujours où est le changement dans l’image, les mouvements de l’œil suivent des trajets très similaires :

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Celui qui regarde l’image semble tourner en rond autour d’un petit nombre de points et négliger « délibérément » une grande partie de l’image.

II-1-d: Le voyage de l’œil.

Le fait de voir ne fonctionne donc pas comme un scanner enregistrant une image, en balayant systématiquement l’ensemble de la zone pour faire l’inventaire des éléments qui s’y trouvent, mais comme la vérification ponctuelle d’éléments qui nous paraissent importants et qui vérifient ce que nous pensons sur l’image.

Le changement dans l’image est donc difficilement détecté, car il n’est pas interprété comme un élément digne d’intérêt, même s’il se trouve parfaitement dans l’axe de vision, au même niveau que les visages des protagonistes qui nous intéressent tant.

Quand nous regardons une image, nous sommes donc, de façon inconsciente, en train d’effectuer un travail important d’interprétation. Nous avons la sensation de percevoir quelque chose qui existe (comme si nous étions un appareil photo ) alors qu’en réalité, sans nous en rendre compte, nous reconstituons ce que nous percevons.

Qu’est-ce qui motive le tri que nous effectuons ?

Citation:

Le tri entre les éléments de l’image ne peut s’expliquer que si l’on admet que la perception visuelle met en jeu, quasi automatiquement, un savoir ou une mémoire sur la réalité visible. 

Ceci m’amène à penser que nous percevons l’image en fonction d’une narration que nous essayons de construire. Ces photos nous ont été présentées sans qu’elles aient été intégrées dans une narration, mais de nous-mêmes nous essayons d’en construire une en faisant appel à notre mémoire et à notre imagination

II-1-d-1:Le tri des éléments et l’embryon d’histoire.

L’image du couple à tableme paraît particulièrement intéressante en raison de son contenu narratif particulièrement évident.

La circulation et les arrêts du regard de l’observateur se font autour des visages de l’homme et de la femme, de leurs sourires, de leurs regards, et des éléments du repas : les assiettes, les verres, la bouteille de vin…

Il me semble que ce choix est conditionné par la mise en place quasi inconsciente d’un début de narration à partir de cette image (qui a manifestement été fabriqué dans cette intention. )

L’atmosphère romantique, les yeux baissés de la femme, le sourire de l’homme qui, lui, regarde la femme, le repas et le vin… Voici les éléments d’une histoire mille fois racontée dans laquelle la rambarde derrière eux n’a pas grand-chose à faire.

Il est certain que si les personnages étaient appuyés au-dessus du vide sur cette même rambarde, elle nous sauterait aux yeux. (Comme le verre de lait dans la première photo)

Notre action de voir est essentiellement motivée par la recherche d’éléments narratifs qui complètent ou corroborent notre début d’histoire. Nous effectuons dans ce but un voyage visuel à l’intérieur de l’image en nous concentrant uniquement sur certains éléments en fonction des relations qui existent entre eux. Et ces relations sont étroitement liées à la narration que nous imaginons ou la narration qui nous guide dans le cas d’une image incluse dans une narration déjà commencée.

Je complèterai cette idée un peu plus loin en parlant du cinéma. Je vais passer d’abord à une approche plus analytique, centrée cette fois sur l’image elle-même.

II-2: Analyse de l’image et liens avec la description.

II-2-a La composition, mythes et réalités. 

J’insiste sur l’aspect narratif de l’image, mais elle a aussi, bien évidemment, un aspect « plastique » qui va conditionner sa lecture.

La manière dont l’image est composée, c’est-à-dire la manière dont les différents éléments sont organisés à l’intérieur du cadre, joue également un rôle très important dans notre perception.

La composition a donné lieu à une très importante littérature, comme la théorie du nombre d’or, la règle des tiers, etc. Il n’est pas inintéressant de connaître toutes ces théories qui ont eu une influence prépondérante dans l’histoire de l’art, mais dans notre cas, nous allons nous efforcer des les oublier au moment de regarder une image. On constate d’ailleurs qu’il y a beaucoup d’images marquantes qui ne les respectent pas et d’images sans intérêt qui les respectent.

Disons simplement que l’image est organisée spatialement et visuellement. Elle est fabriquée selon un certain point de vue. Elle peut se servir d’innombrables effets. Par exemple pour n’en citer que quelques-uns,  la symétrie (ou l’absence de symétrie, le déséquilibre),  le parallèle ou l’opposition,  la mise en valeur d’un élément en jouant sur sa taille, son centrage ou son décentrage, sa position dans l’échelle des plans lorsqu’il y a l’utilisation de la perspective (premier plan, deuxième plan, arrière-plan, etc.), le flou ou la netteté et toutes les différentes textures. Notons rapidement également l’infinité de possibilités apportées par l’usage de la lumière, les effets de contraste ou de fondu. L’usage des couleurs (ou leur absence) qui contribue à « l’ambiance » de l’image, à son climat, à son style.

Le cadre délimite aussi le hors champ, ce qui n’est pas montré, mais qui pourra être suggéré de façon plus ou moins puissante.

Les éléments de l’image peuvent avoir une valeur symbolique forte, comporter tout un univers de connotations

Cette image pourra être considérée comme belle ou laide, et par la même déclencher ou non un plaisir d’ordre esthétique.

(Je sépare ici l’aspect purement plastique de l’image de ses aspects narratifs, mais cette séparation est artificielle. Ces deux aspects sont intimement liés, leur perception est globale et synthétique.)

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– L’écluse de Willy Ronis

Willy Ronis parle de cette composition comme d’une composition « musicale », avec plusieurs lignes mélodiques simultanées: 

« Et là, sur ma photo, en un geste, sans avoir eu à bouger, j’avais trois plans: le plan inférieur de la petite fille, un deuxième plan de deux mariniers en train de manœuvrer, et sur le quai, en haut, d’autres personnes qui étaient des bateliers ou des éclusiers. Chacun était tranquillement dans son histoire, mais ensemble. Moi qui suis un passionné de musique et qui voulais être compositeur, ça me rappelle exactement ce qu’on lit sur une partition, c’est-à-dire les différentes lignes mélodiques, superposées, avec les portées que l’on voit les unes au-dessus des autres?: et, sur chaque portée, il y a toujours quelque chose de nouveau, d’inédit, qui se passe. C’est l’harmonie de l’ensemble qui compose le morceau. Et c’est ce qui donne tout son sens à l’image ». Willy Ronis. « Ce jour là » Gallimard 2008 )

II-2-b Passerelles entre image et texte.

Style, symétrie, métonymie, épure ou emphase, parallèle et opposition, dénotation et connotation, contraste, suggestion, évocation, métaphore, symboles, esthétique, plaisir et poésie… La plupart des processus utilisés par l’image sont également utilisés par le langage verbal.  Tout simplement sans doute parce que le langage apparaît comme le modèle de base de tout phénomène de communication et de signification. 

Des études ont constaté que la compréhension de l’image visuelle intervient, chez le jeune enfant, en même temps que l’acquisition du langage parlé et en relation avec celui-ci. (Julian Hochberg et Virginia Brooks 1962. Jacques Aumont dans « L’image » -Armand Colin.

Le rapport est encore plus évident dans certaines images que nous avons pu voir et dans les images de cinéma en particulier parce qu’elles ont toutes été fabriquées intentionnellement, à partir d’un texte, d’un scénario.

Il s’agira pour le descripteur de prendre conscience de ces passerelles entre texte et image et de savoir les emprunter avec talent.

Continuons l’exploration analytique.

II-2-c Analyse de l’image (suite) : La multi-réalité des images

Une image « contient » plusieurs « réalités », ou plusieurs « histoires », plusieurs narrations.

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– 1 Réalité matérielle : C’est,par exemple, un rectangle de telle longueur sur telle largeur, en papier, en toile tendue sur un cadre de bois, ou c’est un écran de cinéma ou un écran vidéo de telle ou telle technologie…  L’image peut être fabriquée avec de la peinture, ou de l’encre, ou par une projection de lumières, en noir et blanc ou en couleur, etc. Tout ce qui apparaît du matériau et de la fabrication de l’image. Ici nous avons un photogramme en noir et blanc, cadré sur le buste des deux personnages, avec un axe un peu décentré, en contre-plongée, légèrement floue (texture douce), etc.

-2 Réalité représentée extra-dégétique : 

Cette image représente Marilyn Monroe et Tony Curtis en train de tourner le film « Certain l’aime chaud ». C’est la réalité représentée qui est en dehors de l’histoire du film ou extra-diégétique.

-3 Réalité représentée diégétique : C’est la belle Sugar dans les bras de Joe, qui se fait passer pour un milliardaire pour la séduire. Sugar pose amoureusement la main sur l’épaule de Joe et lui sourit, ses lèvres sont proches des siennes… Réalité interne à l’histoire, réalité diégétique. 

( Cette troisième réalité est censée ne pas exister dans le cas d’une photo de reportage ou d’un film documentaire, mais la réalité est plus complexe puisque les photos « documentaires » sont aussi mises en scène et contiennent une part fictionnelle, mais c’est un autre sujet.)

Trois réalités pour trois narrations :

Ces trois réalités développent trois narrations différentes.

La première réalité, celle de la fabrication, est déjà porteuse d’une histoire. Elle nous raconte l’histoire du peintre et de son tableau, du photographe et de son sujet. Pour le cinéma, l’image nous raconte une partie du tournage du film, les choix techniques et artistiques du réalisateur.

La deuxième réalité nous raconte l’histoire de Marilyn Monroe et de Tony Curtis, histoire en l’occurrence particulièrement riche en événements et en émotions.

La troisième réalité nous raconte l’histoire du film, celle qu’a souhaité nous raconter le réalisateur et le scénariste.

Cette distinction est, encore une fois, en partie artificielle puisque ces trois réalités sont perçues en même temps, elles sont dépendantes les unes des autres.

Il est certain que la manière dont l’image est fabriquée va directement conditionner notre perception de la narration du film. Les histoires personnelles de Marilyn et de Tony Curtis vont aussi influencer la manière dont nous percevons aujourd’hui les personnages qu’ils interprètent.

Ces trois narrations imbriquées sont aussi potentiellement destructrices les unes pour les autres. Pour pouvoir nous immerger dans l’histoire du film, nous allons devoir oublier momentanément que ce film est un objet entièrement fabriqué par une équipe technique au grand complet. Pour rire aux scènes comiques de Sugar et Joe, nous devrons oublier le destin tragique de Marilyn dans sa vie réelle.

Il s’agira pour le descripteur de faire  des choix entre ces trois réalités, entre ces trois narrations, et ces choix seront différents en fonction des oeuvres à décrire et en fonction de l’objectif narratif du descripteur.

La réalité de la fabrication sera certainement très développée dans la description d’un tableau. En revanche, dans la description d’un film de fiction, le descripteur ne pourra aborder une description de la fabrication sans mettre en danger l’immersion du spectateur dans le film.

Est-ce que je décris la technique de tournage du film, ce qui intéressera les cinéphiles ou les étudiants en cinéma ? Ou bien est-ce que je décris la réalité diégétique afin de plonger le spectateur dans le film, comme un spectateur lambda ?

Le descripteur devra impérativement comprendre quels sont les rapports entre ces réalités pour faire un choix juste dans sa description.

II-3- Obstacles. Les impossibilités, les pertes… 

Nous venons de voir ce qui rendait notre travail possible, ce qui le guidait, voyons maintenant une de nos difficultés majeures : le temps.

II-3-a

Le temps représenté dans l’image : de la surprise à la contemplation.

Comme chacun sait, une photographie est parfois appelée un « instantané », insistant sur la captation d’un instant très court. Henri Cartier-Bresson parlait de « l’instant décisif » pour ses photos. Il définissait la photographie comme  » la rencontre de l’instant et de la géométrie ». En voilà un exemple :

– Photo de Cartier Bresson.  » La gare Saint-Lazare ».

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Un homme saute au-dessus d’une immense flaque. Sa silhouette figée en vol se reflète , inversée, dans le miroir de l’eau.

Cette photo crée un effet de surprise. Sa qualité vient en grande partie de son immédiateté, aussi bien dans la prise de vue que dans sa perception. Ce n’est pas forcément le cas et le temps représenté par l’image, même par l’image photographique, et par l’image picturale à fortiori, n’est pas forcément un instant figé. 

La contemplation :

Cela peut être une certaine durée, voire même toute une histoire dans certains tableaux qui représentent dans le même cadre divers moments d’une narration (on pense aux tableaux représentant des scènes de la mythologie ou de la Bible, comme ce Persée et Andromède par exemple qui est presque un petit film et qui demande un certain temps pour être décodé  ). Nous prenons le temps d’aller et venir dans le tableau et surtout de revenir et revoir certains éléments le nombre de fois qu’il nous convient.

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École allemande, Persée délivrant Andromède,

huile sur toile, fin du XVIe siècle

II-3-b Le temps de perception de l’image et le temps de perception du texte:

La vue nous donne une sensation immédiate, même si nous savons qu’il s’agit en fait d’une exploration. Que cette exploration soit ultrarapide ou très lente, nous restons maîtres du temps que nous y consacrons. D’une seconde à plusieurs heures si nous le souhaitons.  Elle nous implique physiquement avec l’objet regardé et utilise un de nos sens premiers. 

Certains éléments sont vus de façon quasi simultanée, et c’est cette simultanéité qui parfois crée le sens ou la beauté de l’image ( comme dans la photo de Willy Ronis « l’écluse » et ses trois plans simultanés).

Le texte est un codage qui va nécessiter un travail de décodage pour être compris et perçu. C’est une opération plus lente, plus intellectuelle, moins physique et instinctive que la vision 

Le texte est soumis à une chronologie inévitable et imposée. Il y a forcément un début, un milieu, une fin. C’est particulièrement sensible pour les déficients visuels puisque le texte est dit par un comédien qui impose donc également son rythme de lecture. 

Le texte est aussi beaucoup plus rigide dans son utilisation de la répétition. A l’écoute du texte, on pourra difficilement revoir, ce qu’on n’a mal « vu ».

Le temps du texte et le temps de l’image obéissent donc à des règles différentes. Il paraît impossible d’avoir une perception globale immédiate d’un  texte comme on le fait d’une image. Nous allons néanmoins tout faire pour dépasser cet obstacle. 

En revanche, il est certain que le langage a des possibilités d’expressions de la temporalité incomparablement plus riches et plus complexes que l’image. Mais nous allons justement nous limiter dans ces utilisations pour être au plus près de la manière dont l’image exprime cette temporalité.

II-4: Conclusion sur la perception de l’image fixe:

Implications pour le descripteur : L’approche phénoménologique.

Chaque image a son propre mode de fonctionnement. 

Le descripteur devra donc avant tout la recevoir sans lui appliquer une grille de lecture préconçue afin de se laisser « surprendre », la laisser imprimer sur lui sa marque singulière, ou plutôt se laisser l’interpréter de façon spontanée. 

 Ce n’est qu’ensuite que le descripteur pourra questionner son expérience, analyser l’image, déterminer quelles sont les relations qui existent entre les éléments les plus importants pour pouvoir élaborer un texte de description qui restitue de façon aussi fidèle que possible la perception de l’image.

Comme nous l’avons vu, nous opérons un voyage à l’intérieur de l’image, en nous déplaçant rapidement sur les éléments qui nous intéressent. Nous tournons en rond, nous revenons aux mêmes endroits en fonction d’une narration en cours de construction… C’est un voyage autant dans les sensations que dans les significations.

C’est ce voyage visuel qu’il nous faut retrouver et recréer par un voyage verbal.

Chapitre III- La perception du film.

III-1 Intro : Approche phénoménologique. L’ immersion.

Le cinéma propose une expérience différente de celle de l’image fixe. La spécificité de cette expérience a été très bien décrite par Merleau-Ponty dans son texte sur la perception du cinéma lors de sa conférence « Le cinéma et la nouvelle psychologie » (paru dans « Sens et non-sens ») dont je me permets d’extraire quelques phrases.

Ce texte de Merleau-Ponty est fondateur pour notre pratique d’audiodescription et permet de définir quel doit être le projet fondamental du descripteur par rapport au film qu’il doit adapter.

Merleau-Ponty parle d’abord de la perception et de son aspect global, synthétique :

« Ce qui vient le premier dans notre perception, ce ne sont pas des éléments juxtaposés, mais des ensembles. »

« Ma perception n’est donc pas une somme de données visuelles, tactiles, auditives, je perçois d’une manière indivise, avec mon être total, je saisis une structure unique de la chose, une unique manière d’exister qui parle à la fois à tous mes sens ».

Merleau-Ponty envisage la perception de manière charnelle comme immersion dans un monde. Cela s’applique bien sur tout particulièrement au cinéma qui fait intervenir plusieurs sens en même temps, plusieurs formes artistiques intégrées les unes aux autres: textes, images, musique…

« Le film n’est pas une somme d’images, mais une forme temporelle. »

(Merleau-Ponty cite l’expérience connue sous le nom de « l’effet Kouletchov », dans laquelle le même plan du visage d’un acteur est monté successivement avec les images d’un repas dans une assiette, d’une petite fille morte dans un cercueil puis d’une jeune femme sur un sofa. Le visage de l’acteur semble exprimer des sentiments très différents en fonction des images qui précèdent: la faim avec l’assiette, la peine avec la fillette morte et le désir avec la jeune femme)

« Le sens de l’image dépend donc de celles qui la précèdent dans le film et leur succession crée une réalité nouvelle qui n’est pas la simple somme des éléments employés »

Le même phénomène de globalité se produit avec l’ajout de l’univers sonore. Cela crée « un tout irréductible aux éléments qui entrent dans la composition du film« . Une forme temporelle, visuelle et sonore cohérente, une unité indivisible. Merleau-Ponty utilise le terme  » d’unité mélodique ». Il dit d’ailleurs à propos de la musique du film qu’elle ne doit pas s’y juxtaposer, mais s’y incorporer. Le descripteur peut en faire aussi sa devise, sa description ne doit pas simplement se juxtaposer au film, mais s’y incorporer.

III-2 : Quel est le sens du film ?

Merleau Ponty : « Que signifie, que veut donc dire le film ? Chaque film raconte une histoire, c’est-à-dire un certain nombre d’évènements qui mettent aux prises des personnages et qui peuvent être aussi racontés en prose, comme ils le sont effectivement dans le scénario ».

Ces événements, cette histoire, constitue son matériau, mais, de la même manière que pour la poésie et le roman, la fonction du film n’est pas simplement de nous signifier les faits et les idées contenus dans l’histoire. Les faits et les idées ne sont que les matériaux de l’art.

Un film signifie en s’adressant à notre pouvoir de déchiffrer tacitement le monde ou les hommes et de coexister avec eux.

Le film a donc une signification, mais elle n’est pas qu’intellectuelle. Les idées sont effectivement exprimées, mais dans une immersion corporelle qui fait sens. Le film apporte une expérience, une rencontre entre soi-même et le monde du film.

M-p :  » Le film ne se pense pas, il se perçoit. (…) 

Voilà pourquoi l’expression de l’homme peut être au cinéma si saisissante : le cinéma ne nous donne pas, comme le roman l’a fait longtemps, les pensées de l’homme, il nous donne sa conduite et son comportement, il nous offre directement cette manière d’être au monde, de traiter les choses et les autres, qui est pour nous visible dans les gestes, le regard, la mimique, et qui définit avec évidence chaque personne que nous connaissons ».

III-3 : Perception du film et Audiodescription

Ce texte de Merleau-Ponty définit mon objectif, ma mission de descripteur :recréer cette immersion au film dans sa spécificité et son intensité.

Encore plus que pour l’image fixe, le descripteur doit avant tout faire l’expérience « physique » du film, ressentir les sensations, les émotions qu’il lui apporte et le comprendre intuitivement, « corporellement », sans idées préconçues. Ce n’est qu’ensuite qu’il pourra analyser la fabrication du film, découper les images et les séquences, disséquer le fonctionnement de la bande-son du film pour finir par transposer le visuel en texte. 

Il faudra faire éprouver, faire voir les images, leur apport narratif, leur charge émotionnelle, leur valeur symbolique, leur connotations, leur esthétique, leur poésie, leur style, le plaisir qu’elles procurent… 

Chapitre IV: La transposition en texte.

Maintenant il va nous falloir écrire quelque chose, nous sommes devant le film d’un côté  et notre feuille blanche  de l’autre. Nous allons donc à priori nous concentrer sur la réalité de l’histoire, la réalité diégétique, et mettre de côté la réalité de la fabrication de l’image, extra-diégétique, mais ceci mérite d’être nettement nuancé :

IV-1 Réalité diégétique et extra diégétique.

Je vais insister sur cet aspect parce que je crois que la tentation spontanée d’un descripteur novice est de dire  » la caméra fait ça, la caméra fait ci » alors qu’il est extrêmement rare dans un film de voir véritablement une caméra se promener sur l’écran et que le résultat quasi immédiat de ce type de description entraîne une destruction immédiate de l’immersion dans la réalité de la narration.

La plupart des films font tout pour faire oublier la réalité de la fabrication (extra-dégétique) pour nous plonger le plus profondément possible dans la réalité de l’histoire (diégétique). 

D’autres vont parfois jouer sur la frontière entre ces deux réalités ou faire exister conjointement plusieurs réalités. Ils utilisent un effet de métalepse narrative et sautent les limites de la narration.

On pourra citer la réplique bien connue de Belmondo dans « Pierrot le fou » de Godard: « A qui tu parles ? » lui demande Marianne, et il répond face à la caméra « aux spectateurs ». Dans le cas de Godard, on se trouve dans un style de cinéma qui s’efforce de rompre avec le style classique et cherche à « de ne pas être dupe » de « casser l’illusion », il tend donc à lutter contre l’absorption dans le film peut être pour laisser la place davantage à la réflexion.

Pour ma part, il me semble que le spectateur n’a pas besoin d’être protégé de l’absorption, il est capable de voir tout seul les « signaux de jeux » que lui envoie le dispositif du cinéma. Il sait bien qu’il est assis dans une salle, devant un écran, qu’il assiste à une fiction. Si d’ailleurs il peut prendre du plaisir à être plongé dans des scènes épouvantables, c’est qu’il sait qu’il est confortablement assis en sécurité.

Mais c’est un autre sujet et l’audiodescripteur ne doit pas se positionner comme un critique de cinéma.

Cet effet a d’ailleurs été utilisé dans des comédies très populaires (Darry Cowl dans « le triporteur » parle au public, Lemmy Caution dans « A toi de faire Mignone » se tourne vers la caméra et demande « Qu’est ce que vous auriez fait à ma place ? « etc.) C’est un effet d’aparté au public qui fait penser aussi aux vieux codes de la comédie au théâtre. Il crée une sorte de clin d’œil, de connivence. 

Dans un style complètement opposé, un autre effet utilisé dans le cinéma d’action moderne pourrait être interprété comme une métalepse narrative : par exemple dans « Jeanne D’Arc » de Luc Besson, lors de scènes de bataille violentes, la vitre de la caméra est éclaboussée de sang. Quoi qu’on pense de la délicatesse du procédé, peut-être n’est-ce en fait nullement une tentative de « casser l’illusion » en faisant apparaître la vitre de la caméra, mais au contraire une tentative d’immersion du spectateur dans le feu de l’action. La vitre de la caméra joue le rôle de « l’oeil » du spectateur à la manière des jeux vidéos dans lesquels le joueur peut voir le monde du jeu en plan subjectif à travers son écran.

Le film « Cachés » de Michael Haneke présente un exemple beaucoup plus intéressant que les exemples cités plus haut. Dans cette histoire, un présentateur de la télévision reçoit des cassettes vidéo dans lesquelles il est filmé à son insu dans différents moments de sa vie. Michael Haneke construit son film en nous laissant sans cesse douter du statut de l’image que nous voyons à l’écran. Est-ce l’image du film, ou l’image du film dans le film? Il nous rend ainsi particulièrement vigilants à la fabrication de cette image. Cette fabrication joue un rôle fondamental dans cette narration à tiroirs et c’est ce que nous avons essayé de recréer, Marie-Luce Plumauzille et moi, en décrivant ce film.

Toutes ces tentatives de briser le cadre conventionnel de la construction diégétique aboutissent simplement à créer un monde bis, emboîté dans le précédent. Ils nous amènent à redéfinir le monde fictif du film et à en définir  un autre tout aussi fictif, mais qui obéit à des règles un peu différentes. (Laurent Jullier « L’analyse de séquences » Armand Colin Cinéma.)

Nous allons nous attacher, dans la création de notre texte de description, à faire le même type de choix que le film et respecter sa relation avec le monde diégétique et ses éventuelles « ruptures du pacte de crédulité ».

IV-1-a : Le descripteur est-il extérieur à l’histoire ? Est-il « neutre »?

On avance parfois la supposée neutralité du descripteur. Je voudrais tordre le cou à ce cliché. La neutralité n’a rien à faire là, nous avons ici besoin d’engagement. L’idée que nous pourrions réussir l’immersion dans une narration en y restant froidement extérieurs est un parfait non-sens. Elle révèle l’ignorance du sujet ou la volonté de rabaisser la description à un procédé technique sans âme qui aura surtout pour effet de détruire les oeuvres auquel il est appliqué.

IV-2-a –La caméra narratrice. 

L’œil aux super pouvoirs :

La caméra correspond en quelque sorte à un œil. C’est le point de vue d’un sujet virtuel, le point de vue de quelqu’un qui n’apparaît pas, d’un œil qui serait dans l’histoire, mais qui reste invisible aux protagonistes comme aux spectateurs.

Cet œil a des pouvoirs extraordinaires, il peut s’approcher ou s’éloigner, changer de focale (du grand-angle au téléobjectif), il peut voler en tout sens, passer d’un côté à l’autre (champ, contre champ), traverser les murs, voir de l’intérieur des objets, prendre le point de vue subjectif d’un personnage pendant quelques instants puis retrouver son indépendance et redevenir omniscient. Ne montrer qu’une partie des évènements, en cacher d’autres…

Il jouit d’une liberté surnaturelle et se permet à peu près tout. On constate rapidement qu’il est vain de vouloir retranscrire toutes ses positions, tous ses points de vues qui se succèdent avec une trop grande rapidité. Le texte est plus lent, il se lie à une logique plus exigeante et plus stricte. En revanche on s’attachera à retrouver ses points de vue les plus importants.

Limitations volontaires:

L’œil caméra, en revanche, a aussi de grandes limitations. Il n’a que le pouvoir de montrer, de faire voir, et une grande partie des richesses de sens apporté par la syntaxe du langage lui sont inconnues. Il ne peut pas commenter ou expliquer. Il est limité à une sorte de présent de l’indicatif permanent. Il ne peut dire que « il y a ça maintenant » mais il ne peut pas dire « il n’y a pas ».

IV-3

Attention à la dérive explicative du texte.

Il s’agira de remplacer cet « œil  » qui opère la narration visuelle, en ne débordant pas de son rôle. 

On s’attachera à faire voirsans expliquer ou commenter.

Les mots peuvent nous entraîner facilement vers les domaines intellectuels de l’explication et du commentaire. Le descripteur doit s’interdire de les utiliser de cette façon et se concentrer sur leur capacité à convoquer les images justes chez le spectateur.

C’est une règle à nuancer puisque souvent la description pure doit s’accompagner d’un complément d’interprétation, une image pouvant avoir toute une série de significations. (Exemple : il écarte les mains – pour l’accueillir? De découragement? Etc.) Mais le descripteur ne doit jamais oublier qu’il est là avant tout pour recréer des images, et surtout pas pour commenter ou expliquer.

IV-4

La contrainte du temps. Les choix : une rude négociation

La narration implique une chronologie, un rapport au temps. Le temps est encore une fois notre contrainte majeure puisqu’en sus des difficultés fondamentales que pose l’image fixe, nous allons être confrontés à la nécessité de suivre et de respecter le temps imposé par le film.

Cette temporalité sera souvent signifiée par d’autres éléments associés à l’image plus que par l’image elle-même. En dehors des éléments d’informations temporelles apportés par les dialogues, c’est le montage qui permettra principalement d’exprimer l’écoulement du temps. 

La réalité du temps du film joue également un rôle prépondérant, la durée effective des plans et des séquences donne au spectateur une expérience réelle qu’il nous faudra préserver.

Il faudra nous incorporer à  la bande sonore tout en l’occupant le moins possible. On se rend compte assez vite que trop de description tue la description. La quantité de texte que l’on peut ingurgiter et décoder est réduite. Il faudra se limiter drastiquement pour laisser respirer le film et ne pas l’ensevelir et l’étouffer sous la parole.

Dans notre écriture, nous sommes tenus à la concision et à la précision maximum.

Cette limitation très stricte va nous obliger à couper beaucoup, à ne choisir que l’essentiel. Nous allons donc devoir beaucoup négocier pour trouverla meilleure solution, ou en tout cas, la moins mauvaise.

IV-4-b. La voix nous apporte la sensation immédiate :

Dans ce combat difficile avec le temps, nous avons tout de même quelques armes, quelques moyens.

Le texte de description sera interprété par un comédien ou quelqu’un capable de transmettre les milles et une nuances qui permettent à un texte d’exprimer l’image. Au cinéma particulièrement, mais aussi dans la description de l’image fixe, il nous faudra utiliser toutes les émotions, toutes les subtilités que peut faire passer une voix de façon aussi rapide et instinctive que l’image. 

Les nuances de la voix, l’empathie qu’elle crée avec le spectateur, permettent de retrouver l’immédiateté des sensations provoquée par le visuel.

C’est pour cela que la voix ne devra surtout pas être neutre, mais s’engager pour restituer le climat du film. En même temps elle devra garder une grande sobriété, pour ne pas être intrusive et parvenir à provoquer les sensations sans jamais les imposer.

Conclusion:

Pour conclure ce tour d’horizon de l’audiodescription au cinéma, voici ces quelques phrases extraites de la conclusion de la conférence de Merleau-Ponty :

« Une bonne part de la philosophie phénoménologique consiste (…) à faire voir le lien du sujet et du monde, du sujet et des autres, au lieu de l’expliquer, comme le faisaient les classiques, par quelques recours à l’esprit absolu. Or le cinéma est particulièrement apte à faire paraître l’union de l’esprit et du corps, de l’esprit et du monde et l’expression de l’un dans l’autre. « 

C’est bien grâce à une approche phénoménologique, par cette expérience sensitive et libre, que nous devons aborder le film. Ce n’est qu’en ayant ainsi vécu cette immersion que le descripteur pourra recréer l’expérience que propose le film en écrivant sa description. Il se limite strictement à la restitution fidèle de l’apport narratif et sensible du visuel. Il s’interdit d’expliquer, de juger et de raconter le film à la place du film, cherchant constamment un équilibre idéalisé entre l’implication de sa sensibilité et sa recherche d’objectivité.

Le descripteur se veut être un passeur d’un monde à un autre, discret à défaut d’être invisible, sensible et sincère. Il cherche avant tout à s’incorporer au film pour recréer l’empathie du spectateur, lui faire voir presque le même film pour le voir ensemble, le faire participer aux mêmes histoires pour participer au monde.

Annexe : petit atelier pratique

Voici quelques cas de figure concrets dans la séquence du labyrinthe de « Harry Potter et la coupe de feu » dans laquelle j’ai fait des choix et des coupes importants, des choix d’images, des choix de points de vue notamment. 

 (3- extrait Harry Potter 4- Labyrinthe, son + images – 2 minutes).

Début de la séquence du labyrinthe :

Le début de la séquence est une succession d’actions courtes et rapides qui présentent le comportement d’Harry et de Cédric juste avant d’entrer dans le labyrinthe. La description est très factuelle, elle se cantonne surtout aux actions, il n’y a ni adjectif, ni adverbe. Le film offre une alternance de plans et une caméra assez mobile qui reste au niveau des personnages. Elle fonctionne comme un « témoin de l’histoire », mais elle va prendre rapidement plus de liberté et de pouvoir. Sans doute parce que dans la suite de la séquence, il n’y a presque plus de dialogues et que tout est « raconté » par cet œil qui nous montre ce qui se passe.

Je ne cherche pas à expliquer tous les plans, c’est impossible et je tomberai dans l’explication laborieuse de la fabrication du film. Je cherche à dégager la perception d’ensemble des enchaînements de plans qui servent à poser les attitudes et les actions des différents personnages.

20:22:09: Concurrents, venez ici. Dépêchons !

Ils font cercle autour de Dumbledore.

20:22:33: Champions, préparez vous.

Ils vont chacun se mettre à une entrée du labyrinthe.

20:22:36:

Harry se place à côté de Maugrey.

Dans les deux phrases suivantes, la partie comportementale et émotionnelle des personnages est prise en charge par l’interprétation, elle passe dans la voix du descripteur plus que dans le texte.

22:39:  

Cédric va à côté de son père qui le serre dans ses bras. (tendresse, chaleur)

20:22:46: (respect, retenue, froideur)

Harry et Cédric se saluent d’un signe de tête.

20:22:52:

Attention à 3. 1… boum ! 

Rusard a fait partir le canon.

(Tentative de rendre l’effet de surprise, l’effet comique, dans la voix. Difficulté due à la rapidité)

les nuances de jeu des personnages sont ici apportées par les nuances de la voix de description plus que par le texte qui reste volontairement peu « qualifiant ». 

Nous avons une succession de plans avec des changements importants de point de vue,  et notamment un plan subjectif de Harry lorsqu’il se retourne vers Maugrey et Dumbeldore.

20:22:55

Maugrey tape sur l’épaule de Harry pour l’encourager (commentaire explicatif, lorsque le geste risque d’être ambigu). L’élève sorcier entre lentement dans le labyrinthe: une allée longue et étroite part droit devant lui et se perd dans une brume bleutée.

20:23:05:

Harry se retourne vers Maugrey qui pointe discrètement le doigt vers le côté gauche de l’allée.

20:23:10:

Le jeune garçon a un petit sourire inquiet, Dumbledore jette un regard soupçonneux dans leur direction.

20:23:15:

Les grands arbres se resserrent et ferment l’entrée. (synchronisme avec le bruitage qui nécessite une description)

Le passage suivant mérite aussi un commentaire: nous avons deux plans très différents qui s’enchaînent.

– Un très gros plan assez long du visage du héros face caméra, stressé et angoissé par l’épreuve à venir.  L’acteur est face caméra, mais il n’y a aucune volonté d’effet extra-diégétique ici. Harry Potter ne nous regarde pas, la caméra fait un gros plan sur lui, mais on considère qu’elle est invisible.

– Un plan éloigné de l’allée du labyrinthe à 180 ° du plan précédent. Harry est cette fois de dos, il est déjà très engagé dans l’allée et sa silhouette paraît très petite. La caméra s’élève et  nous montre l’étendue, l’immensité du paysage, à la fois beau et inquiétant.

On peut noter que cet enchaînement pourrait poser des questions de logique. Pourquoi cette opposition gros plan puis plan éloigné à 180 ° ?

Quoi qu’il en soit, lors du premier visionnage, on est « pris » dans l’action et on ne se pose pas la question. Le gros plan nous met en empathie avec le personnage, nous fait ressentir son angoisse. 

Le plan éloigné nous fait ressentir sa fragilité, il est tout petit dans cet univers inquiétant. L’élévation soudaine donne la sensation d’un élément irrationnel et omnipotent qui observe l’action, la domine dans tous les sens du terme. Cela peut être lu de deux manières: 

– une métaphore des puissances irrationnelles et magiques qui agissent dans l’histoire.

– Un effet de métalepse narrative, on s’envole comme dans un manège forain, on sort de l’histoire, mais on est dans le « grand spectacle ». 

J’opte résolument pour le choix de l’effet métaphorique.

Il y a également un effet de courte ellipse temporelle entre les deux plans. Dans le plan éloigné le personnage est déjà bien engagé dans l’allée alors que juste avant il venait de passer l’entrée.

Coupes et négociation :

J’ai choisi de ne pas décrire le gros plan qui existe de façon sonore grâce à la respiration oppressée que l’on entend en gros plan également. Il m’a semblé qu’on l’attribuait bien à Harry , l’image sonore est très nette, et elle est plus efficace qu’une phrase de narration qui l’aurait masquée.

Ensuite je me suis posé la question concernant la montée de caméra et cet élargissement sur une vue presque aérienne. 

J’aurai pu dire « on s’élève entre les arbres et on domine le labyrinthe » pour retranscrire l’effet visuel que nous procure la montée de la caméra (qui est posée sur une grue manifestement).

Cela m’obligerait à faire intervenir le « on », un personnage indéfini peut être, mais déjà beaucoup trop présent comparé au caractère invisible, immatériel de l’œil caméra. J’aurai pris alors l’option d’une interprétation « extra diégétique » du mouvement de caméra.

J’ai donc choisi au contraire de ne pas décrire ce mouvement précisément, mais simplement ce qu’il nous montre d’essentiel. J’ai cherché dans l’image ce qui avait retenu mon attention et qui servait le plus le récit, j’ai gardé une seule phrase :

20:23:26:

Harry s’enfonce dans l’immense labyrinthe brumeux qui s’étend à perte de vue, dans une large vallée encadrée de montagnes.

Voyons la suite :

20:23:41:

Il arrive à un carrefour. Deux allées partent sur sa gauche.

20:23:45:

Il hésite.

23:49:

Il regarde derrière lui.

20:23:55:

Le soir tombe sur l’immense dédale de verdures.

On retrouve l’alternance entre des plans assez rapprochés des personnages et des plans très larges qui installent le décor dans son ensemble.

20:24:05:

Cédric Diggory court dans une allée.

20:24:11:

Il tourne sur sa gauche… (23:13: ) Et s’arrête à un croisement.

20:24:15:

Un long passage s’ouvre à gauche, le fond disparaît dans le brouillard.

24:19:

Cédric repart en arrière.

24:21:

Les arbres se referment sur lui.

20:24:29:

Cédric lutte pour passer entre les branches.

20:24:34:

Sa baguette serrée dans son poing comme une arme,  Viktor avance dans le brouillard.

Voilà encore l’exemple de gros plans que je n’ai pas forcément décrits, essentiellement pour un problème de temps.  On voit d’abord la baguette dans la main du personnage, puis ses pieds qui foulent le sol, avant de le voir de trois quarts dos. 

L’enchaînement insiste sur le côté menaçant de l’objet qui peut être utilisé comme une arme, puis crée un certain suspens en posant la question « qui est-ce qui avance comme ça » ?. 

La phrase « Sa baguette serrée dans son poing comme une arme » permet de transposer le gros plan et de faire intervenir l’information sur le personnage aussi tard que possible. 

En revanche le gros plan sur les chaussures m’a paru suffisamment « visualisé » par les bruits de pas très présents qui transmettent l’avancée puissante du personnage, comme la respiration oppressée d’Harry Potter faisait « voir » son inquiétude.

20:24:43:

Harry se retourne.

24:47:

Il continue à avancer.

24:50:

La tête de Viktor Krum apparaît  derrière un arbre: ses yeux sont devenus vitreux.

20:24:55:

Fleur court dans demi-obscurité.

20:24:58:

Elle tourne sur elle-même, paniquée et repart en sens inverse.

20:25:05:

Elle s’immobilise à un croisement, le visage baigné de sueur. Elle est devant une allée déserte.

20:25:10:

Quelque chose fonce sur elle par-derrière.

Ce dernier plan est intéressant en raison de sa double caractéristique : subjectif et elliptique. On est soudain « à la place » de ce qui fonce sur la jeune fille, alors que nous ignorons de qui ou de quoi il s’agit ! Nous pourrions nous identifier à lui si nous savions qui il était. Le plan se coupe d’ailleurs avant que la réponse nous soit donnée. 

On est dans un exemple flagrant de « coupure » volontaire de la narration où les personnages en savent plus que le spectateur. Le narrateur omniscient joue avec nos nerfs ! Le double caractère serait trop long à décrire dans le temps imparti et j’ai choisi de ne garder que l’action de foncer sur la jeune fille et l’incertitude sur l’entité qui menace.

On peut aussi remarquer, comme dans le plan sur Victor Krum et de façon encore plus franche, que l’image ne peut que nous dire « Il y a », mais pas « Il n’y a pas ». 

Ici, il y a quelque chose qui fonce sur la jeune fille : elle le voit, mais nous non. Le texte pourrait dire à la limite « on ne voit pas », mais dans ce cas on sortirait de la sphère des possibilités de communication de l’image. J’ai donc évité d’utiliser une phrase négative.

Décrire Soulages

Décrire Soulages, mission impossible ?

L’an dernier, lorsque j’ai été contacté par Christel Lagarrigue qui s’occupe de l’accessibilité du musée Soulages à Rodez et qu’elle m’a fait part du projet de décrire une quinzaine d’oeuvres de Pierre Soulages, j’ai été pris d’un sentiment partagé. J’étais à la fois enthousiaste à l’idée de me confronter à cette oeuvre majeure et saisi par le doute ; décrire Soulage, n’était-ce pas une mission impossible ? En effet, si on peut décrire des oeuvres d’une grande richesse visuelle, il arrive parfois que la perte par rapport à l’original devienne trop importante pour que l’exercice en vaille la peine. Je connaissais bien sûr un peu les oeuvres de Soulages, j’avais vu l’exposition que le Centre Pompidou lui avait consacrée dix ans auparavant, mais je n’avais jamais réfléchi à la description de son oeuvre.

J’ai entraîné dans l’aventure Ouiza Ouyed qui allait relire et retravailler tous les textes avec moi. Je crois qu’il m’aurait été impossible de mener à bien ce projet sans son « regard » et son écoute.

Un an plus tard, il nous a semblé intéressant de revenir avec un peu de recul sur cette expérience très particulière qui pose des questions fondamentales sur la description en général.

Une première difficulté pratique provenait de l’éloignement avec le musée. Habitant en région parisienne, il ne m’était pas possible de m’installer à Rodez pour aller écrire sur place. Le budget dédié à l’audiodescription permet rarement un tel luxe !

J’ai choisi de travailler d’abord sur photos, puis d’aller sur place pour mettre en pratique et confronter les textes aux oeuvres exposées dans le musée. J’ai réalisé ensuite qu’il m’aurait fallu au moins deux voyages à Rodez pour pouvoir travailler plus correctement ; un premier pour voir les oeuvres originales dans leur contexte avant de commencer, et un autre pour parfaire la finition des textes à la fin du travail. 

Les photographies des oeuvres de Pierre Soulages ne révèlent souvent que bien peu les oeuvres réelles. Ces photos m’ont mené dans quelques impasses dont j’ai pu heureusement me sortir quand je suis allé travailler deux jours sur place avec l’aide précieuse de Christel Lagarrigue. Mais j’ai dû à cette occasion refaire une bonne partie des textes.

Si les oeuvres picturales libèrent le descripteur de la contrainte temporelle très stricte des films, il n’est néanmoins pas possible de s’affranchir complètement du temps. Le texte de description est fait pour être écouté dans les audioguides, le visiteur d’un musée ne peut pas intégrer des textes trop longs lors de la visite et on limite en général chaque description à trois minutes d’écoute environ. 

On est confronté à une première difficulté, parce que la visite d’un musée pour un visiteur lambda n’est pas linéaire. On ne va pas passer le même temps devant chaque tableau. On aura parfois besoin ou envie d’en contempler certains pendant plusieurs minutes, ou glisser sur d’autres au bout de trente secondes pour, peut-être, y revenir plus tard. La description, enfermée dans la petite cage temporelle de son fichier mp3, supprime en grande partie cette liberté. Le visiteur pourrait réécouter certaines parties du texte, revenir sur certaines images mentales. Encore faudrait-il que l’appareil soit lui soit facilement manipulable, ce qui est rarement le cas.

La difficulté majeure de la description dans le domaine pictural n’est pas le temps imparti, mais l’abstraction.

L’absence de contenu figuratif, sémantique et narratif dans les oeuvres abstraites en général, et dans celle de Soulages en particulier, rend l’audiodescription particulièrement problématique.

Le projet d’audiodécrire des oeuvres de Pierre Soulage se heurte de plus à la position du peintre lui-même sur son oeuvre. 

Dans « Exploration d’une oeuvre » Pierre Gordon écrit : (Collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne © Adagp, Paris): 

« Pierre Soulages a très peu écrit sur son travail. Mais grâce aux entretiens auxquels il s’est prêté, nous en savons la cause. Selon lui, les mots ne peuvent rendre compte de l’objet même de son travail. Les mots sont généralité, là où la peinture est concrète et toujours particulière. Les mots referment la signification d’une toile, là où la peinture ouvre sur tous les possibles de l’imaginaire. Pour cette raison, ses compositions, qui ne représentent rien, ne sauraient être décrites avec des images littéraires. Parler des grandes bandes noires qui parcourent et recouvrent parfois totalement la surface blanche de ses toiles en évoquant des « stèles de silence », des « charpentes écroulées », des « architectures nocturnes » serait s’adonner à une « poétisation, qui mêle la sentimentalité à la peinture [et ramène] l’abstrait à du figuratif »1. Pour cette même raison, chacune de ses œuvres ne présente aucun titre, n’étant identifiée que par ses dimensions et sa date de réalisation.

(…)

Pour Soulages, « une peinture est une organisation, un ensemble de relations entre les formes, lignes, surfaces colorées, sur lequel vient se faire et se défaire le sens qu’on lui prête »

Cette peinture ne se raconte pas. C’est là toute la difficulté de l’exercice auquel nous vous convions : parler d’une œuvre qui ne peut se décrire et se prête à tous les commentaires sans en retenir aucun.

L’audiodescripteur doit servir l’oeuvre et s’engage à y être aussi fidèle que possible. Il est donc paradoxal d’écrire un texte d’audiodescription alors que l’artiste a justement exprimé sa méfiance des mots en soulignant leur impuissance à rendre compte de son oeuvre et leur tendance à la trahir.

Mais le descripteur s’engage aussi à servir le public des personnes déficientes visuelles et à tout faire pour leur permettre d’accéder à l’art et à la culture. Rappelons que c’est un droit établi par la loi. 

Nous avions donc cette première contradiction à négocier avec nous-mêmes et nous nous sommes dit que Pierre Soulages ne s’était peut-être jamais posé la question de l’accessibilité de ses oeuvres aux personnes déficientes visuelles et que ses propos s’adressaient aux éventuels commentateurs, guides ou critiques d’art. Peut-être sa position aurait-elle changé s’il avait réfléchi à l’exercice périlleux du descripteur d’images. On ne m’a pas proposé de me mettre en contact avec lui et j’avoue n’avoir pas osé le demander, j’ai eu certainement tort de ne pas le faire. 

Nous avons, quoi qu’il en soit, essayé de tenir compte de ses propos en retenant cette mise en garde contre les images littéraires, contre une « poétisation, qui mêle la sentimentalité à la peinture [et ramène] l’abstrait à du figuratif »1

Mais comment faire pour que les mots seuls fonctionnent « là où la peinture ouvre sur tous les possibles de l’imaginaire » ?

Le problème de l’équilibre entre le factuel et le ressenti se pose ici avec acuité. 

Décrire purement factuellement comment se répartissent des bandes noires sur une feuille blanche, en s’interdisant l’expression de toute sensation, devient aussi un exercice vide de sens. Notre pari était donc que la description permette de se faire une image mentale concrète de ce qu’il y avait effectivement sur le tableau, tout en essayant d’ouvrir vers les « possibles de l’imaginaire », mais sans imposer « des images littéraires » et sans « ramener l’abstrait au figuratif ». 

Trouver cette ligne de crête, complètement subjective et fluctuante, entre ces deux objectifs contradictoires nous a exposés au risque de tomber dans les deux travers à la fois. Nous avons dû effectuer une négociation ardue entre les deux aspects, mais cela nous a semblé la seule voie possible.

Rappelons que le descripteur n’est pas là pour expliquer ou commenter une oeuvre, et encore moins la juger. Il doit se concentrer sur un objectif plus précis : faire voir l’oeuvre en créant avec ses mots une image mentale aussi fidèle que possible. Ce principe amène aussitôt une question primordiale : qu’est-ce que c’est que « voir une oeuvre » ?

Voir une oeuvre, ce n’est pas seulement prendre connaissance d’informations visuelles, c’est aussi et surtout ressentir des émotions et plonger dans l’univers d’un artiste. C’est ce voyage dans la vision d’un autre qui nous fascine et nous enrichit. Audiodécrire a pour but d’essayer d’apporter au public déficient visuel une expérience aussi proche que possible de celle du public lambda.

Pour les oeuvres de Soulages, cette notion d’expérience prend vraiment tout son sens tout en apportant une infinie complexité.

Après quelques heures de travail sur chaque photo pour arriver à un texte d’environ trois cents mots, nous avons fait une première séance de relecture et de réécriture avec Ouiza. 

C’est une des premières oeuvres que nous avons abordées, en apparence très simple, qui nous a donné le plus de fils à retordre : « Encre sur papier 65,6×50,5, vers 1949 »

Elle est constituée uniquement de traits noirs sur un fond blanc, tracés semble-t-il au pinceau de façon assez rapide, sans effet de profondeur ou de transparence de la teinte comme on pourra le voir dans beaucoup d’autres peintures.

(image à ajouter)

Encre Pierre Soulage

L’oeuvre peut évoquer aussi bien un mouvement ou un rythme, qu’une construction, une structure. 

Elle pourrait aussi n’être que le détail d’une peinture plus grande, un morceau qui garderait ainsi tout son mystère. 

Je pense ici à ce que disait Soulages au sujet du lavis de Rembrandt.

(peut être en encadré séparé)

« La femme endormie »  

(Image du lavis la femme endormie)

Soulages raconte :  » C’est un lavis qui représente une femme à demi couchée, en robe d’intérieur, et un jour (j’aimais beaucoup ce lavis), j’avais laissé cette revue ouverte sur ma table, il y avait du désordre, un cahier en avait recouvert une partie et cachait la tête de la femme, ce qui fait que brusquement, je me suis mis à aimer ce que je voyais beaucoup plus encore que le lavis tout entier. »

Pour respecter les propos de Pierre Soulages, j’avais d’abord essayé de rester parfaitement factuel. J’avais décrit les traits de façon objective, sans en oublier un seul, en donnant leurs tailles, leurs formes et leurs inclinaisons. Je m’étais interdit d’y ajouter des éléments d’interprétation, de donner les sensations et ce que la peinture évoquait en moi. 

La relecture avec Ouiza montra immédiatement les limites de ce premier essai. Le texte devenait rapidement difficile à suivre, la description devenait trop complexe à vouloir être trop précise et exhaustive. L’auditeur se noyait dans l’enchevêtrement des détails, le texte échouait à faire exister une image mentale globale et par la même ne créait plus la moindre évocation.

Nous nous sommes alors permis de rajouter des sensations plus subjectives, tout en restant très vigilant à ne pas tomber dans une « poétisation » ou une représentation simplifiée et figurative.

Nous avons fait confiance aux mots et à leur capacité d’évocation, à leur polysémie, à la multiplicité de leurs connotations qui peuvent aussi « ouvrir les possibles de l’imaginaire ».

Dasn cette oeuvre, nous avons associé les mots « rythme », « mouvement », avec « étayer » « contrepoids », « construction » pour faire exister les deux sensations en apparence contradictoires qui se dégagent du motif. 

Nous avons mené la même recherche de ce point d’équilibre en le factuel et le ressenti pour toutes les autres oeuvres.

****

(photo du musée Soulages à Rodez)

Je suis allé ensuite confronter cette première version des textes lors de deux journées de travail au musée Rodez.

La première chose qui frappe le visiteur c’est que le musée lui-même est une oeuvre à part entière. Son architecture extérieure a d’ailleurs fait partie des quinze oeuvres audiodécrites.

On découvre ensuite sur le parcours que les salles ont été pensées par Pierre Soulages pour faire vivre aux mieux ses tableaux et ses gravures. La plupart des murs sont peints dans des nuances de noir, mais il y a aussi une grande salle aux murs blancs. Certaines salles sont sans fenêtres, d’autres sont éclairées par de hautes baies vitrées tournées vers le nord.

Des oeuvres sont exposées perpendiculairement à ces baies vitrées, d’autres leur font face. Elles prennent la lumière différemment. Lors de la visite, on assiste à un dialogue subtil entre les oeuvres et le bâtiment.

J’ai découvert évidemment la réalité de la taille oeuvres. Même si les dimensions sont incluses dans les titres et qu’on les connaît intellectuellement, se trouver face à certains tableaux de très grande taille provoque forcément une sensation plus directe.

Je me suis rendu compte ensuite que beaucoup d’oeuvres nécessitaient que l’on se déplace devant pour qu’elles prennent vie au gré des multiples reflets de la lumière. Cette danse des reflets sur le noir crée des variations subtiles et fascinantes, les textures changent, les surfaces mates deviennent brillantes, des microreliefs apparaissent, s’effacent ou s’inversent.

D’autres oeuvres demandent au contraire concentration et immobilité. En restant face au tableau le regard peu à peu « s’habitue » au noir qui se révèle en fait constitué d’une infinité de nuances de couleurs, parfois dans les tons bruns roux, d’autre fois dans les tons bleus. Ces nuances créent des vibrations de la surface, des sensations de transparence dans ce qui paraissait simplement opaque. Des lumières semblent sourdre de la toile comme des lueurs lunaires derrière un vitrail.

Sur place, devant les oeuvres, chaque description a été revue avec Christel Lagarrigue. C’était l’occasion de confronter et de faire dialoguer nos deux regards, celui de Christel qui connaît parfaitement l’oeuvre de Soulages et qui travaille depuis des années à la rendre accessible à tous les publics, et le mien qui redécouvrait l’oeuvre que je ne connaissais que superficiellement jusqu’alors et qui cherchait à rester dans la description pure, sans me laisser entraîner vers le commentaire ou l’analyse, si passionnant soient-ils.

Après ces deux jours intenses, nous avons refait un tour complet des textes avec Ouiza pour nous assurer que tout était clair et peaufiner les derniers détails. C’est une étape qui pourrait ne jamais finir, à chaque relecture on a envie de modifier une tournure de phrase, de préciser tel ou tel détail, de changer un mot pour un autre, au risque de défaire un édifice fragile. Il faut donc savoir finir.

Après tout ce travail sur les textes, l’enregistrement a été presque une formalité.  J’ai surtout cherché à rester simple, en empathie avec l’auditeur, sans ajouter d’effets inutiles. 

Ces audiodescriptions appartiennent maintenant au public déficient visuel du musée Soulage qui peut les écouter dans les audioguides lors de la visite. Après tant de temps passé à travailler dessus, notre jugement perd forcément de son acuité. Nous avons conscience qu’ils ne sont pas forcément faciles à appréhender et qu’ils demandent beaucoup de concentration, mais c’est le cas aussi des oeuvres de Soulages. Nous savons aussi que nos descriptions sont loin d’être exhaustives parce qu’en trois minutes il n’est pas possible de tout dire sur des oeuvres aussi complexes. Les équilibres que nous avons recherchés, forcément subjectifs, ne satisferont évidemment pas tout le monde.

Pour nous, il reste donc encore une étape ; recueillir les avis des visiteurs déficients visuels pour savoir s’ils ont apprécié la visite du musée et si nos choix ont été les bons. J’espère que nous aurons l’occasion de le faire un jour.

Laurent Mantel, 7 avril 2020.

Projet de nouvelle charte au CSA

LA QUALITÉ DE LA VERSION AUDIODÉCRITE DES PROGRAMMES CINÉMATOGRAPHIQUES ET AUDIOVISUELS :

OUTIL D’ÉVALUATION et CHARTE DES BONNES PRATIQUES

PRÉAMBULE

La genèse d’un texte fédérateur

Œuvrer ensemble à la professionnalisation d’une pratique

Depuis dix ans, plusieurs textes ont signifié la nécessité de définir, d’organiser et d’accompagner une pratique audio-descriptive en essor constant. Ils ont chacun permis sans conteste de mesurer les enjeux d’un secteur professionnel en devenir. Aujourd’hui, seule la réflexion collective de ses différents intervenants garantira aux bénéficiaires déficients visuels une accessibilité de qualité, respectant en même temps l’égalité et les droits des personnes handicapées – objectif visé par la loi du 11 février 2005 – les œuvres et leurs auteurs.

Il faut remonter à fin 2015 pour comprendre les circonstances particulières qui sont à l’origine de notre réflexion actuelle. À cette période, l’alerte lancée par de nombreuses associations en direction du C.S.A met en lumière « l’absence ou la mauvaise qualité de l’accessibilité des programmes » notamment dans le traitement de l’actualité. C’est pourquoi le Conseil, soucieux d’exercer un contrôle plus strict en la matière, a confié à la société Avamétrie le soin de réaliser une Étude relative au contrôle du respect et de la qualité des obligations des chaînes en matière d’accessibilité des programmes. Publiés en avril 2017, les résultats de cette étude ont notamment confirmé la baisse de la qualité des Versions Audio-Décrites (VAD) et ont donné lieu, comme le Conseil s’y était engagé, à une restitution organisée en « Cycles d’auditions » à l’adresse des chaînes de télévision concernées et des principales associations. L’organisation encore balbutiante de la profession n’a malheureusement pas permis de réunir un quorum représentatif d’intervenants du secteur – ainsi par exemple, un nombre restreint d’auteurs ont été conviés à ces réunions qui se sont tenues en juillet 2017.

À l’issue de cette étape, il a été exposé que : « les représentants des associations ont conscience de la nécessité de redéfinir un cadre pour les nouveaux entrants dans le secteur de l’audiodescription mais également pour les chaînes qui ont besoin d’avoir un outil, reconnu par tous, leur permettant d’évaluer la qualité de l’audiodescription qu’elles proposent ». Les rares auteurs présents ont sollicité le Conseil pour qu’il leur permette de se réunir en plus grand nombre afin de déterminer une position commune. Au regard de son engagement, s’agissant de l’accessibilité des programmes et de son travail de sensibilisation auprès des éditeurs concernant la qualité des flux d’accessibilité, le Conseil a accepté d’accueillir ces réunions. S’il ne possède pas l’expertise pour définir ces grands principes à suivre, il est néanmoins très soucieux de porter et de soutenir avec rigueur ce projet.

Pour leur part, les auteurs audiodescripteurs indépendants, exerçant depuis plus de dix ans, constatent une dégradation croissante des conditions de travail (délais souvent réduits de moitié, rémunération en baisse d’environ 40% en 10 ans dans la majorité des cas, nouveaux venus nombreux et non ou mal formés), impactant de manière flagrante la pertinence des adaptations. Aussi s’entendent-ils, malgré la divergence de leurs pratiques, pour revenir sur les fondamentaux et pour poser des principes méthodologiques visant à revaloriser la réalisation des VAD.

De son côté, la CFPSAA réfléchit depuis plusieurs années aux attentes des téléspectateurs déficients visuels. Elle a rédigé, avec le concours de l’association Retour d’image, un texte très synthétique rassemblant leurs conclusions. Dans l’urgence de participer pleinement à la réflexion actuelle, la CFPSAA a pris l’initiative de transmettre ce texte aux diffuseurs. Ce texte nourrit la réflexion en cours, au même titre que le travail des différents contributeurs. Ainsi espérons-nous un document unique, consensuel et fort, pour être présenté par le CSA comme « le document de référence à suivre auprès des éditeurs ».

Dans cette optique d’un document unique, et devant la parenté des pratiques audio-descriptives à destination des programmes cinématographiques et audiovisuels, il nous apparaît nécessaire d’associer le CNC à la démarche du CSA. De la même manière, les destinataires de ce document seront non seulement les institutions, les différents professionnels intervenants au cours du processus de réalisation d’une version audio-décrite et les commanditaires, mais également les équipes de production, de post-production et de distribution, tout comme les associations représentatives de personnes déficientes visuelles. Nous précisons que la version audio-décrite des programmes cinématographiques et audiovisuels intéresse également les spectateurs déficients intellectuels. Nous notons enfin qu’un travail reste à fournir pour inciter les réalisateurs à prendre en compte cette version adaptée de leurs œuvres.

Ainsi formulons-nous le vœu que l’entreprise dans laquelle nous sommes lancés réponde à ses ambitions : dessiner une position commune et exigeante qui œuvre à la professionnalisation d’une pratique afin de garantir aux bénéficiaires une accessibilité qui allie expansion et qualité.

Table des matières

I.DES OUTILS D’ÉVALUATION DE LA QUALITÉ POUR RÉPONDRE AUX ATTENTES DES BÉNÉFICIAIRES 5

  1. Le projet de la Version Audio-Décrite – ou VAD 5
  2. L’Objet de l’évaluation 5
  3. Les Évaluateurs 6
  4. Les Principes essentiels 7
  5. Échelle d’évaluation 9
    1. Phase d’écoute de la version AD sonore, sans image, et (si possible) sans avoir vu le film. 10
    2. Phase comparative – Visionnage du film original 11

II. LE PROCESSUS POUR PARVENIR À UNE VERSION AUDIO-DÉCRITE DE QUALITÉ (VAD) 14

  1. Professionnalisme 14
    1. L’auteur 14
    2. Le consultant non-voyant 14
    3. Les formations 14
  2. De la commande à la VAD 15
    1. Commande et Accusé de réception 15
    2. Matériel fourni à l’auteur 15
    3. Étapes de la réalisation d’une VAD 16
  3. Statut, Rémunération, délais et respect de l’auteur et des intervenants dans la fabrication de la VAD 17
    1. Statuts et rémunérations 17
    2. délais de règlement 18
    3. respect de l’auteur et des intervenants dans la fabrication de la VAD 18
  4. Pérennité (homogénéité) des VAD 19

CONCLUSION 19

I.DES OUTILS D’ÉVALUATION DE LA QUALITÉ POUR RÉPONDRE AUX ATTENTES DES BÉNÉFICIAIRES

  1. Le projet de la Version Audio-Décrite – ou VAD

La version audio-décrite est une déclinaison fidèle de l’œuvre originale. L’œuvre originale peut provenir de tous les domaines des arts visuels ou du spectacle vivant. Si la VAD peut être appréciée par tout un chacun, elle existe avant tout à l’usage des publics non ou mal-voyant dont elle pare aux manques. Elle devient l’original du public en situation de handicap visuel et elle peut également intéresser les publics en situation de déficience intellectuelle. Elle est l’objet qui permet le partage avec l’ensemble des spectateurs et des téléspectateurs. Cela aurait pu être une autre version avec un autre auteur de VAD. Ce sera celle-là. Ainsi la VAD constitue-t-elle une œuvre de création à part entière. Pour toutes ces raisons, l’exigence de qualité par le spectateur déficient visuel est légitime.

Une œuvre cinématographique ou audiovisuelle est constituée de l’intrication des éléments visuels avec les éléments sonores, dans un déroulement temporel précis.

La réussite d’une œuvre réside dans sa capacité à entraîner les spectateurs dans un univers singulier. Dans les métiers du cinéma, on utilise l’expression « ça fonctionne » pour  indiquer la réussite de cette immersion. Lorsque « ça ne fonctionne pas », le spectateur « sort du film », il « décroche », parce que quelque chose est raté. Dans la version audio-décrite, le visuel sera transmis par la narration d’audiodescription qui devra se caler avec précision sur la bande sonore entre les dialogues en respectant le plus possible les bruitages et les musiques. Il faudra donc trouver un nouvel équilibre entre tous les éléments en jeu pour que la VAD « fonctionne » et recrée l’effet d’immersion spécifique de l’œuvre de départ. 

  1. L’Objet de l’évaluation

La restitution de l’expérience globale est le critère principal à évaluer : la version audio-décrite proposée permet-elle de « vivre » – presque – le même film ? (Vivre exactement le même film est évidemment impossible). 

Cela implique qu’on ne peut qu’évaluer la VAD d’un film dans son intégralité, non pas des extraits sortis de leur contexte.

La compréhension de la situation, l’exactitude de la description des éléments visuels, un texte correctement écrit sont des facteurs indispensables, mais ne suffisent pas à créer une version audio-décrite de qualité. 

Dans un deuxième temps, une évaluation analytique et comparative sera donc également nécessaire

En effet, rechercher avant tout une restitution d’expérience ne donne pas toutes les libertés. L’auteur de la VAD s’engage aussi à restituer aussi fidèlement que possible le contenu des images et leur temporalité, même s’il doit faire des choix parmi ces contenus et adapter certains éléments visuels ou temporels.

Il faudra alors se demander : la VAD transmet-elle avec exactitude le contenu narratif tel que la progression du récit et les points de vue adoptés ? Les nuances du visuel sont-elles restituées avec précision ? Les choix de mise en scène et les partis pris esthétiques sont-ils perceptibles ? L’expérience de la VAD propose-t-elle le même niveau de facilité et de confort que celle de l’œuvre de départ ? Le texte descriptif est-il clair et fluide ?

  1. Les Évaluateurs

L’évaluation peut être commandée par une institution indépendante dont ce serait la mission  (le CSA par exemple), ou par toute institution qui subventionne l’audiodescription et qui souhaite contrôler le bon usage des deniers publics (le CNCIA par exemple).

Dans l’idéal, elle pourrait être réalisée par une équipe d’évaluation (ex. deux personnes, dont une déficiente visuelle).

Écrire une version audio-décrite est un travail complexe, l’évaluer l’est donc forcément aussi. Les évaluateurs doivent avoir des connaissances approfondies dans le domaine de l’œuvre de départ (cinéma, télévision, documentaire, etc.), des aptitudes dans le domaine de l’écriture, ainsi qu’une grande sensibilité aux univers sonores

De réelles compétences dans le domaine de l’audiodescription sont évidemment attendues. En effet, les évaluateurs doivent impérativement être capables de comprendre les objectifs, « le cahier des charges » de la VAD pour pouvoir évaluer sa réalisation en fonction des spécificités de chaque œuvre et indépendamment de la qualité de l’œuvre originale. Sans être pour autant auteurs de VAD, ils doivent connaître et maîtriser un certain nombre de principes essentiels que nous rappelons ci-dessous.

Pour acquérir ces compétences, il leur est recommandé de suivre une formation à la réalisation audio-descriptive et d’assister quand ils le peuvent aux séances de travail entre le consultant déficient visuel et l’auteur.

  1. Les Principes essentiels

Le but ici n’est pas d’exposer toute la complexité de l’audiodescription, ce document n’est pas une méthode de formation accélérée. Nous rappelons simplement les outils de réflexion qui permettent de réaliser une évaluation sur une base correcte.

Le choix des éléments à décrire doit se faire en fonction de l’œuvre pour atteindre l’objectif fondamental de la version audiodécrite. Chaque œuvre est unique.

Il serait absurde d’imposer des consignes communes à tous les films en faisant une liste des éléments à décrire supposée s’appliquer à chaque fois. Ils sont à choisir  fonction de chaque œuvre, de chaque séquence, et surtout pas selon une nomenclature préétablie. Dans certains cas même, il ne faudra rien décrire et c’est justement le silence qu’il faudra absolument respecter.

Voir c’est interpréter :

Il n’existe pas de vision « objective ». Décrire met forcément en jeu la subjectivité, mais une subjectivité soumise à l’exigence de fidélité à l’oeuvre de départ.

On entend ou on lit souvent à propos de l’audiodescription :  « il ne faut pas interpréter » alors qu’il est établi que toute vision est une interprétation par le cerveau. Ce que nous « voyons » résulte de choix conscients ou inconscients.

Notre interprétation du visuel est conditionnée par un grand nombre de facteurs contextuels, notamment sonores et narratifs dans le cas du cinéma. Il conviendrait plutôt de dire qu’il ne faut pas extrapoler ou surinterpréter une image ou une séquence en y plaquant ses propres jugements ou en se laissant aller à sa propre imagination sans se préoccuper d’être rigoureusement fidèle à l’œuvre de départ.

– Expliquer n’est pas décrire, mais décrire une image sans lui donner son sens n’a aucun intérêt.

Le texte de description doit donc faire exister l’image et son contenu sémantique. En fonction de la place disponible, l’auteur devra trouver le bon équilibre, la bonne position du curseur entre description et transmission du sens.

– Le cinéma est une œuvre temporelle qui se perçoit « ici et maintenant ».

La manière dont les éléments narratifs sont répartis dans le temps est choisie avec soin par les auteurs de l’œuvre et vise à créer des effets spécifiques comme le suspense ou la surprise. Il est important que la VAD respecte, dans la mesure où cela est possible, la place temporelle de ces informations narratives pour ne pas détruire l’effet voulu par les créateurs de l’œuvre de départ.

S’il n’est pas possible de décrire un élément au moment précis de son apparition (costumes, décors, etc) la description pourra intervenir à un autre moment, si c’est de manière subtile, intégrée à une action par exemple, et sans que cela fasse sortir du film.

– Écriture :

L’auteur est maître de ses choix d’écriture et peut utiliser toute la richesse de la langue française pour servir les objectifs de la VAD.

Il n’est pas question ici de poser des interdits ou des consignes,  mais il faut souligner la nécessité pour le texte  d’être évident et clair, fluide et agréable à écouter, avec un niveau de langage, un rythme et un style en phase avec l’œuvre. L’image s’exprime dans un présent permanent, un « ici et maintenant » qui est propre à l’expérience cinématographique. L’auteur s’attachera à respecter et recréer cet effet dans son écriture.

Le texte doit évidemment être écrit dans un français correct et ne comporter ni fautes, ni maladresses. Les outils de références de l’écrit sont connus : Grevisse, Robert, TILF, CNRTL etc.

Choix du niveau de réalité de l’image qu’il convient de décrire en fonction de l’œuvre :

La grammaire élémentaire de l’image nous apprend qu’une image de film de fiction par exemple représente trois réalités différentes. On peut donc l’interpréter etla décrire de trois manières différentes qui sont souvent contradictoires.

1- La réalité de la fabrication : taille de l’image, matériau, définition, procédés techniques de fabrication, cadrage, axe, focale, déplacement de caméra, disposition des projecteurs, etc.

2- La réalité de l’univers fictif, réalité de « l’histoire ». Les personnages, les lieux où l’action est supposée se dérouler, les actions, etc. qui appartiennent au récit et font exister son univers spécifique. (Réalité diégétique.) 

3- La réalité extérieure à l’univers narratif : les acteurs, les lieux réels du tournage, etc. (Réalité extradiégétique.)

La plupart des œuvres audiovisuelles actuelles – mais pas toutes- ont pour objectif de plonger le spectateur dans la réalité de l’univers fictif. Cette immersion est fragile et l’irruption d’informations brutes sur sa fabrication ou sur la réalité extérieure détruit l’illusion recherchée par les créateurs de l’œuvre de départ. Cela ne veut pas dire que l’on renonce à rendre compte de l’esthétique de la réalisation, mais que cela ne peut se faire que de façon subtile en travaillant son écriture, son rythme et son style.

(D’autres cas de figure sont développés en notes, voir annexe .)

– Une voix ou deux voix de narration d’audiodescription ?

Deux options sont envisageables :

Dans certains cas, une seule voix établira un lien discret et ininterrompu entre le film et le spectateur DV  auquel il permettra de vivre son expérience de manière fluide. 

Mais dans d’autres cas, deux voix (l’une féminine et l’autre masculine) rendront plus évident le découpage narratif du film.

  • Les changements de voix devront se placer au moment des ruptures narratives, et non pas pour les changements de lieux comme cela a pu être dit parfois, une même séquence pouvant très bien se dérouler dans une succession de lieux différents. Dans certains films l’usage de deux voix est même indispensable pour faire exister plusieurs niveaux narratifs différents qui s’entremêlent. 
  • La présence de sous titres peut également nécessiter deux voix, afin de les enregistrer en “voix superposée” en attribuant les sous-titre des personnages féminins à une voix de femme et les sous-titres des personnages masculins à une voix féminine.

Chaque cas étant unique, ce choix revient à l’auteur de la VAD. En tout état de cause, il ne peut pas être dicté par de pures considérations financières.

Cela nécessite que l’auteur ait les compétences pour prendre ces décisions, qu’il soit capable de comprendre le rythme narratif global et faire les bons choix. Pour des raisons de planification, cette décision ne peut pas se prendre au moment de la vérification avec le consultant non-voyant, mais l’auteur prendra son avis en amont.

  1. Échelle d’évaluation

Une échelle chiffrée pourrait aider à mesurer et concrétiser l’évaluation, mais devra être accompagnée d’un compte-rendu écrit. Il conviendra de présenter la grille des résultats dans son ensemble pour se faire un avis, l’audiodescription ne pouvant pas être notée de façon globale.

Chaque élément pourra être évalué de 1 à 5, où 1 correspond à « pas du tout, très mal » et 5 correspond à « tout à fait, très bien ».

– Certaines erreurs ou omissions sont manifestes.

– D’autres éléments sont à apprécier de façon plus subjective.

PROPOSITION DE MÉTHODE PRATIQUE : « questionnaire qualité » en deux phases :

  1. Phase d’écoute de la version AD sonore, sans image, et (si possible) sans avoir vu le film.
    1. Approche globale, sans idées préconçues, comme un spectateur lambda

* Est-ce que la version audiodécrite du film fonctionne ? Ai-je vécu une expérience d’immersion cinématographique ?

  1. Défauts flagrants détectables en phase 1

* Ai-je compris sans avoir à réécouter certains passages, où se situait l’action, qui l’effectuait, quelle était l’action, etc. ?

 ( Note  : nous parlons des problèmes de compréhension causés par des défauts de l’audiodescription, pas de ceux posés par un film volontairement opaque. La phase 2 permettra de confirmer ce point.)

* Ai-je constaté que l’AD respectait la bande son du film, sans recouvrir des dialogues et m’empêchait de comprendre certains passages du film ?

* L’AD décrit-elle bien les images, sans se contenter d’expliquer l’intrigue ? Le sens des images décrites est-il clair  ?

* Ai-je pu me faire une image mentale précise des personnages, des décors, de l’époque ?

* L’AD est-elle bien dosée et donc ni trop pauvre ni trop présente ?

*  Suis-je resté dans l’univers fictionnel de l’œuvre sans que l’AD m’en fasse sortir ? (par des termes  techniques de prises de vues, par exemple.)

* Le descripteur abordait-il le film sans faire de critiques ou émettre d’opinions purement personnelles ?

*  L’AD m’a-t-elle donné les principales informations artistiques des génériques, au début ou à la fin de la VAD, dans le respect du son du film ? 

  1. Défauts détectables en phase 1, écriture

*  Ai-je apprécié la qualité du français sans remarquer de fautes de grammaire ou de vocabulaire, impropriétés, maladresse et lourdeurs ?

*  Ai-je apprécié le style sans être gêné par un manque de fluidité, de la confusion, une pauvreté de style ou des structures minimalistes et répétitives, fastidieuses à écouter ?

  1. Évaluation de l’enregistrement

*  Sur un plan technique, est-ce que l’AD est bien intégrée à la bande-son du film ? Le mixage est-il bien fait ?

* Le son est-il de bonne qualité ? (échantillonnage)

* Le texte de l’AD est-il bien interprété ? l’interprétation permet-elle l’immersion dans le film ?

Est-elle juste, nuancée et sensible et non pas froide et morne, en surjeu et intrusive, ou inutilement explicative ?

*  La voix est-elle agréable ? La diction correcte ?  Sans débit de parole trop lent ou trop rapide qui perturberaient l’écoute et la compréhension ?

*  Le choix d’une seule voix ou de deux voix permet-il de suivre au mieux le film ? Le découpage narratif est-il restitué avec évidence ?

  1. Phase comparative – Visionnage du film original
    1. Comparaison avec l’impression produite par la version audiodécrite

* Mon expérience en regardant le film est-t-elle proche, comparable à celle que j’ai éprouvée lors de l’écoute sans images ?

* Est-ce que je retrouve les mêmes ressorts dramatiques : effets, humour, suspens, émotions, poésie, etc. ?

* Est-ce que je reconnais le projet et les intentions des auteurs de l’œuvre tels que je les avais compris dans la version audiodécrite ?

  1. Expérience visuelle

* Ai-je relevé au visionnage des erreurs flagrantes :  erreurs ou omissions de descriptions concernant des éléments factuels importants ? Erreurs de lieux, de personnages ou d’objets, etc. alors qu’il y a le temps de placer les éléments en question et qu’ils sont importants pour la narration ? (5 : pas d’erreurs, 1 : de nombreuses erreurs)

* Ai-je remarqué des erreurs ou omissions d’éléments d’interprétation importants (expression d’un visage ou d’un regard par exemple, impression laissée par un décor, alors qu’il y a du temps pour le dire et qu’il s’agit d’une donnée importante) ? (5 : pas d’erreurs, 1 : de nombreuses erreurs)

*  La richesse, la complexité et les connotations de l’image sont-elles bien rendues par la description ?

  1. Expérience temporelle.

* La description recrée-t-elle bien le déroulement du film, au présent (ici et maintenant) ?

*  La chronologie des informations de l’œuvre originale est-t-elle respectée ?

* Le rythme des séquences filmées est-il respecté par leurs descriptions (trop lentes ou trop rapides par rapport à la version originale) ?

* Les descriptions sont-elles précisément placées par rapport aux bruitages pour faire exister l’image sonore ?

  1. Évaluation de l’écriture par rapport au film.

* Le style de la description me paraît-il en adéquation avec le style du film ?

* La description m’apporte-t-elle un rendu de l’esthétique du film ?

* Le niveau de langage de la description correspond-il à l’univers esthétique du film dans sa globalité (dialogue, mais aussi poésie ou violence de l’image, univers aseptisé ou cru, etc.) ?

RÉSULTAT :

Vous trouverez en annexe 1, et ci-dessous, une grille des résultats permettant l’apprécier visuellement le niveau général, ou avec le degré de détail souhaité, avec un emplacement pour l’avis global motivé de l’évaluateur et la réponse de l’auteur.

II. LE PROCESSUS POUR PARVENIR À UNE VERSION AUDIO-DÉCRITE DE QUALITÉ (VAD)

  1. Professionnalisme
    1. L’auteur

L’auteur de VAD doit avoir un solide bagage cinématographique et une excellente maîtrise de la langue. S’il sait analyser une image, il doit aussi savoir être synthétique dans le respect des intentions du réalisateur : choix de mise en scène et partis pris esthétiques.

Ces compétences peuvent être acquises de façons très diverses selon les itinéraires professionnels de chacun. Mais quel que soit son parcours, il doit aussi être formé par des auteurs et des consultants non-voyants expérimentés et reconnus. “Il doit être sensibilisé régulièrement à la déficience visuelle” (cf texte de la CFPSAA en lien avec Retour d’Image) Il doit être au service de l’oeuvre dont il écrit la VAD et attentif aux attentes des personnes DV.

  1. Le consultant non-voyant 

Comme l’a souligné le texte de la CFPSAA, il est nécessaire pour l’auteur de “bénéficier au niveau de la relecture d’une personne déficiente visuelle (DV) formée à l’audiodescription”.

Ce consultant doit avoir une bonne culture cinématographique et une bonne maîtrise de la langue. Lui aussi doit être formé.

  1. Les formations

Beaucoup trop de personnes s’improvisent auteur sans avoir été formées. Certaines font valoir une culture cinématographique et une bonne maîtrise de la langue, qualités qui, même si elles sont indispensables, ne suffisent pas à faire un bon auteur de VAD.

Il en va de même avec des consultants non-voyants qui n’ont pour compétence que leur cécité.

Ceci est dû à un manque de contrôle de la part de certains commanditaires qui espèrent remplir leurs obligations d’accessibilité à moindre coût.

Par ailleurs, s’il existe des formations sérieuses, force est de constater que d’autres offres de formation émergent de tous côtés sans aucun contrôle sur leur sérieux. Ceci devra faire l’objet d’une étude ultérieure.

  1. De la commande à la VAD

La VAD n’est pas qu’un texte. Elle peut être considérée comme une partition musicale qui vient s’inscrire dans l’œuvre originale sans la trahir. L’auteur de la VAD, en tant que maître d’œuvre, doit donc pouvoir la suivre jusqu’au mixage s’il en a les compétences.

  1. Commande et Accusé de réception 

A défaut d’un contrat de cession, les relations entre l’auteur et les prestataires techniques sont pour l’heure placées sous le signe de la confiance réciproque. Ce principe, qui permet de rédiger peu d’écrit, est parfois source de confusions et de risques pour l’ensemble des protagonistes, c’est pourquoi il est recommandé au prestataire de confirmer la commande à l’auteur par écrit (courriel) en précisant la nature de l’œuvre à adapter, son titre, sa durée, la date de la fourniture des éléments, la date de l’enregistrement, la date de la vérification avec le consultant DV si celle-ci est organisée par le prestataire, la destination de la VAD (diffuseur), et le montant de la rémunération. L’auteur confirmera par retour de courriel. 

Nous rappelons les conclusions du rapport Montluc (2012) et engageons toutes les parties à élaborer rapidement un contrat de cession pour que les utilisations des VAD entrent enfin dans un cadre légal. Cela permettrait de sécuriser tous les acteurs de la filière et éviterait que la diffusion des VAD soit compromise par des obstacles juridiques.

  1. Matériel fourni à l’auteur
  2. Support

Un support image et son de qualité avec time code incrusté, lisible et discret.

Le tatouage ou watermark abîme la lisibilité de l’image, et peut entraver la description. S’il ne peut être évité, il pourrait sans doute se faire le plus discret possible.

  1. Scénario, dossier de presse.

Dans la mesure du possible (particulièrement pour tous les films en cours de production), c’est un outil précieux pour la qualité du travail. On y trouve de précieuses informations sur les personnages, les lieux, les décors, les intentions du réalisateur, etc.

Les dossiers de presse sont aussi des documents intéressants à fournir.

Le relevé de dialogues (que les prestataires fournissent très souvent à la place du scénario), n’est utile que pour retrouver des noms de personnages. Il ne peut donc en aucun cas remplacer le scénario.

  1. Étapes de la réalisation d’une VAD 

En plus de la relecture par un consultant non voyant (cf chap 1 par B) les auteurs préconisent la relecture en amont par un deuxième auteur voyant  (nommé “l’auteur collaborateur”) qui pourra éviter au premier auteur des erreurs non perceptibles par le consultant non-voyant. Le travail en binôme d’auteurs est aussi possible. Dans ce cas, chaque auteur est rémunéré en fonction du minutage attribué et l’intervention d’un auteur collaborateur n’est pas nécessaire. 

Chaque projet à audiodécrire étant unique quant à sa durée et à sa difficulté, nous prendrons l’exemple d’un film de 90’ d’une difficulté moyenne et en version originale francophone. Un délai idéal d’un mois est recommandé entre la réception des éléments par l’auteur et la livraison de la VAD. C’est dans ces conditions idéales que nous détaillons comme suit :

  1. Partie écriture
  • Ecriture : 3 x 5 jours (à compter de la remise du matériel par le commanditaire)
  • Relecture par l’auteur collaborateur, échange entre l’auteur et l’auteur-collaborateur pour aboutir à une version corrigée, vérification avec un consultant non voyant : de 1 jour et demi à 3 jours, (compris dans les 3×5 jours d’écriture) 
  • Ajustements à faire après la relecture par le « client » qui va proposer ou demander des corrections (moins d’une demi-journée) 
  1. Partie son
  • enregistrement : ½ journée à une journée

– L’artiste interprète (si ce n’est pas l’auteur) et l’ingénieur du son doivent avoir pu prendre connaissance du film avant l’enregistrement (et du texte pour l’interprète).

Le calage (ou montage) se fait à l’enregistrement.

– Si l’auteur enregistre lui-même, il pourra veiller au calage de son texte avec l’ingénieur du son. S’il n’enregistre pas lui même et s’il en a les compétences, il pourra assurer le rôle de directeur artistique et superviser sa VAD jusqu’au mixage. A défaut, la présence d’un directeur artistique au fait des spécificités de la VAD peut s’avérer nécessaire.

– Le texte ne pourra pas être modifié lors de l’enregistrement sans l’accord de l’auteur. L’enregistrement n’est plus le moment des corrections (mis à part des erreurs flagrantes, telle le nom d’un personnage). Outre les considérations matérielles (rallongement du temps d’enregistrement) cela générerait des risques d’erreurs nuisibles à la qualité et à la cohérence de la VAD. Le consultant professionnel déficient visuel doit intervenir AVANT l’enregistrement.

  • mixage : de ½ journée à une journée en fonction de la difficulté. et du type de mixage à effectuer (mise à niveau des voix pour livrer une piste audiodescription seule ou mixage de l’audiodescription avec le son du film).

– Idéalement, une écoute intégrale sera faite avant les sorties et le fichier son sera envoyé à l’auteur en même temps qu’au client pour validation.

  1. Statut, Rémunération, délais et respect de l’auteur et des intervenants dans la fabrication de la VAD
  2. Statuts et rémunérations
  • L’auteur : 

L’auteur de la VAD a le statut d’auteur et est donc rémunéré en droits d’auteur.

Cette rémunération constitue un minimum garanti en contrepartie du temps consacré à l’écriture et aux différentes phases de relecture de la VAD commandée. 

Ce minimum garanti est un tarif à la minute. Étant donné l’investissement de l’auteur sur la VAD, et pour répondre à l’attente en matière de qualité des commanditaires et des personnes DV, le tarif minimum recommandé est de 25 € brut la minute (auteur-collaborateur compris, et hors consultant non-voyant).

Les auteurs rappellent la nécessité de voir le montant du minimum garanti suivre une certaine progression (ne serait-ce que le taux d’inflation).

Les auteurs demandent que leurs droits soient perçus et répartis par les sociétés de gestion collective (SACD/SACEM/SCAM) comme tout auteur de l’audiovisuel, dont les auteurs de doublage et de sous-titrage. Ils  auraient ainsi la possibilité de percevoir des droits de diffusion sur l’exploitation de leur travail. Ceci fera l’objet d’une annexe dans les mois qui viennent.

NB : Si l’auteur doit intervenir en tant que directeur artistique ou en tant qu’interprète, les rémunérations de ces travaux se font en sus et en salaire.

  • l’auteur collaborateur : 

Le tarif forfaitaire préconisé pour deux jours de travail est de 300 € en droit d’auteur (compris dans l’enveloppe auteur de 25 € la minute). Ce forfait devrait être augmenté en fonction de la durée et de la difficulté de l’œuvre.

  • Consultant non-voyant :

Il peut être rémunéré en salaire ou en droits d’auteurs, l’AGESSA acceptant les relectures/vérifications comme “aide à l’adaptation”. Ce choix doit lui revenir en fonction de sa situation. Le tarif forfaitaire préconisé se situe entre 200 et 250 € brut. Ce forfait devrait être augmenté en fonction de la durée et de la difficulté de l’œuvre.

  1. délais de règlement

La loi d’août 2008 est venue encadrer les délais de règlement en France. 

Les entreprises qui fournissent des VAD connaissent, comme leurs homologues d’autres secteurs d’activités, des difficultés de paiement et un allongement chronique des délais de règlement. Certaines entreprises ne répercutent pas cet allongement sur les auteurs, d’autres si. Cette situation est difficile à vivre pour un auteur, personne privée et non commerçante.

En tout état de cause, les délais de règlement ne devraient pas excéder 45 jours fin de mois à réception de la note d’auteur.

Une rencontre annuelle, au minimum, devrait se tenir entre les représentants des auteurs, des entreprises et des commanditaires sur la question des tarifs. Le CNC y jouerait un rôle de coordination.

  1. respect de l’auteur et des intervenants dans la fabrication de la VAD
  • Citation au générique

Doivent figurer au générique :

  • les noms du ou des auteurs
  • les noms de l’auteur-correcteur et du consultant
  • les noms des artistes interprètes et du directeur artistique (le cas échéant)
  • le nom de l’ingénieur du son et du studio
  • Envoi du travail fini à l’auteur

L’auteur, le correcteur et le consultant doivent pouvoir disposer d’une copie audio (son film + son audiodescription) du travail fini. Cela leur permettra par ailleurs de faire évoluer leur pratique dans un but de perpétuel progrès.

  1. Pérennité (homogénéité) des VAD

Nous reprenons là une demande figurant dans le texte de la CFPSAA :

“Dès lors qu’une VAD existe, elle doit impérativement accompagner l’œuvre durant toute sa vie quel que soit le support de transmission (cinéma, télé, replay, DVD, VOD, smartphones, ordinateurs, etc). C’est à dire qu’elle doit être associée pleinement à l’œuvre.”

Pour cela, il est nécessaire d’améliorer la traçabilité ou le référencement des

audiodescriptions pour éviter de refaire, et parfois mal, des adaptations qui existent déjà.

CONCLUSION

Nous espérons avoir permis au lecteur de mieux saisir les principes, techniques et enjeux, de la réalisation et de l’évaluation d’une version audiodécrite, et ceci dans le but de l’aider à évaluer une version audiodécrite.

Notre but est de généraliser les bonnes pratiques et de défendre une discipline et une profession. 

Les deux parties présentées ici, principes & évaluation et conditions de production, sont indissociables à nos yeux pour garantir une qualité des versions audiodécrites en adéquation avec le niveau d’exigences imposé par le cinéma et la production audiovisuelle et nous souhaitons qu’elles soient diffusées conjointement.

Nous sommes enthousiastes à l’idée que ce document puisse motiver commanditaires, auteurs, consultants, directeurs artistiques, artistes-interprètes, ingénieurs du son, tous les acteurs institutionnels ainsi bien sûr que les associations de personnes déficientes visuelles à collaborer pour offrir aux publics concernés une véritable accessibilité du cinéma, et nous restons à l’écoute de tous.