Audiodescription et narrativité

Faire voir presque la même chose.

Audiodescription et narrativité.

Projet: présentation de l’audiodescription, de ses rapports avec la perception de l’image et du cinéma, de son rôle dans la narration et de l’élaboration du texte en conséquence.

Table des matières

Chapitre I:

I-1 Définition et ambition:

I-2 :Expériences: 

1- Extrait sonore Harry Potter 4. Le Labyrinthe. (3 minutes environ)

Le départ : les manques

2- Extrait sonore audiodescription Harry Potter 4 – Le Labyrinthe ( 3 minutes). L’arrivée: les images en mots.

I-3 Mémoire et imagination/ Reproduction et production d’un monde :

Chapitre II : La perception de l’image.

Intro:

II-1- Qu’est-ce que voir une image ? 

II-1-a: Exemples concrets d’interprétation: Exemple classique gestalt :

Image du vase de Rubin.

II-1-b: Expériences de Kogan sur la « Cécité accidentelle ».

Le verre de lait

La voiture

Le couple à table

II-1-c: L’échantillonnage  :

Le couple, trajets visuels 1

Le couple trajets visuels 2

II-1-d: Le voyage de l’œil. 

II-1-d-1:  L’embryon d’histoire.

II-2- Analyse de l’image.

II-2-a La composition, mythes et réalités. 

L’écluse de Willy Ronis.

II-2-b Analyse de l’image (suite) : La multi-réalité des images

Certains l’aime chaud

Matériau

Fabrication

Diégétique

II-3 Implications pour le descripteur

II-3-a Passerelles entre image et texte.

II-3-b Obstacles. Les impossibilités, les pertes… 

II-3-b-1

Le temps représenté dans l’image :De la surprise à la contemplation.

Cartier Bresson- la gare Saint Lazare.

Persée et Andromède

II-3-b-2

Le temps de perception de l’image et le temps de perception du texte:

II-4 Conclusion sur la perception de l’image fixe:

Implications pour le descripteur : L’approche phénoménologique.

II-4-1 Exemple: l’ouvrier meuleur

Chapitre III- La perception du film.

III-1 Intro : 

Approche phénoménologique. L’ immersion.

III-2

Quel est le sens du film ? 

III-3 Perception du film et Audiodescription

Chapitre IV: La transposition en texte.

IV-1 Réalité diégétique et extra diégétique.

IV-2–La caméra narratrice. L’œil aux supers-pouvoirs :

IV-2-b Limitations volontaires:

IV-3 Attention à la dérive explicative du texte.

IV-4 La contrainte du temps. Les choix : une rude négociation

IV-4-b. La voix, véhicule de la sensation immédiate : 

CONCLUSION

Annexe : Exemple concret

Extrait Harry Potter 4- Scène du labyrinthe, discussion des choix.

Faire voir presque la même chose.

Il n’existe pas pour l’instant de texte (note) établissant les bases théoriques de l’audiodescription et ce colloque est pour moi l’occasion de poser les premiers jalons de ce travail, en essayant de présenter l’audiodescription dans son rapport intime avec la narration.

(Note de bas de page : Il existe bien un texte officiel, la « charte de l’audiodescription », qui est malheureusement une méthode aussi simpliste qu’erronée. Ce texte prétend imposer une sorte de mode d’emploi mécanique qui trahit l’ignorance manifeste par ses auteurs de 50 ans d’études sur la perception de l’image et du cinéma)

Chapitre I: Définition et ambition. 

L’audiodescription a principalement pour but de rendre accessible un film, une image ou toute oeuvre visuelle à un public non voyant ou mal voyant. L’audiodescription ne doit pas être considéré comme une simple « béquille », un pis-aller réservé un public handicapé. C’est une activité artistique à part entière. La description d’une œuvre d’art, ou « ekphrasis »,  fait d’ailleurs partie de l’histoire de la littérature depuis l’antiquité. 

Même si aujourd’hui l’audiodescription existe surtout pour répondre au besoin du public des déficients visuels, elle peut également être une manière de « voir » un film pour un public sans problème de vue (en voiture ou en train par exemple).

J’ai été formé à l’audiodescription par Marie-Luce Plumauzille, la pionnière de l’audiodescription en France, et depuis plus de 10 ans, j’ai décrit et enregistré près de 120 films, longs ou courts métrages, des pièces de théâtre, des expositions, des monuments historiques… Cette expérience concrète m’a permis d’affiner ma pratique et d’avancer dans ma réflexion. Son rôle de passeur met la description au carrefour de nombreuses disciplines: l’image, le cinéma, l’écriture, la narration, mais aussi la psychologie, la sémiologie, l’étude de la cognition en général. Un domaine extraordinairement vaste. Je vais essayer de faire le tour des différentes étapes de ce travail et je serai forcé de ne faire que survoler plusieurs disciplines très complexes.

Faire voir presque la même chose :

Pour remplacer les images, les recréer dans l’imaginaire du spectateur, notre moyen sera donc d’écrire un texte. Ce texte sera parfaitement calé entre les dialogues et les bruitages, il sera ensuite interprété par un comédien. Le descripteur met en mots des images selon son regard et son interprétation, en se soumettant à une grande exigence de fidélité à l’oeuvre originale.

Pour un film, il s’agit de transposer une expérience sensorielle utilisant la vue et l’audition, en une autre expérience sensorielle qui n’utilise plus que l’audition (ou une interaction entre ce qui reste de la vue et l’audition pour les personnes malvoyantes). L’objectif est d’arriver à ce que ces deux expériences soient les plus proches possible. 

Nous sommes dans la position d’un traducteur et je me permets de m’inspirer du livre d’Umberto Ecco sur la traduction, « Dire presque la même chose », pour en faire ma devise : « faire voir presque la même chose ». Notons au passage qu’Umberto Ecco classe ce type de transposition, de traduction entre deux systèmes de signes différents, dans les « traductions intersémiotiques ». C’est-à-dire qu’il ne considère pas cela comme véritablement une traduction, mais comme une adaptation. Je partage totalement ce point de vue en ce qui concerne l’audiodescription, nous réalisons une adaptation de l’œuvre originale (note 2).

(Note bas de page 2 :Du point de vue du Code de la Propriété intellectuelle, cette adaptation, la version audiodécrite, est une œuvre appelée oeuvre dérivée ou composite et ne peut se faire qu’avec l’accord des ayants droits de l’œuvre originale.)

Le projet n’est pas gagné d’avance et je sais que pour certains (des réalisateurs de cinéma par exemple) il est à priori impossible de restituer un film ou une image par des mots. En fait, c’est possible, dans une certaine mesure, et certains réalisateurs ont pu être surpris du résultat quand ils se sont donné la peine de l’écouter. C’est possible parce que la façon dont l’image est perçue a beaucoup à voir avec la manière dont nous le langage fonctionne. Il y a de grandes similitudes et de grandes différences entre l’image et le langage parlé, nous devons nous y confronter dans notre pratique.

I-2 :Expériences:

Il est essentiel de faire l’expérience, de ressentir, les différents aspects que nous allons aborder.  (Cette notion de ressentis, de sensations, me paraît essentielle dans le domaine de l’image en général et du cinéma en particulier.)

Écoutons pour commencer un court extrait de film sans images, uniquement  la bande sonore, pour essayer de nous rendre compte de ce que peut ressentir une personne privée des images lorsqu’elle est devant un film. 

1- Extrait sonore Harry Potter 4. Scène du labyrinthe. (3 minutes environ): Bruits de feuillage, d’une respiration inquiète, effets musicaux dramatiques ou inquiétants, bruit de pas, de course, cris de peur, etc.

Voilà, pour notre public, ce qui est perçu initialement du film. 

Je ne vais pas me lancer dans l’analyse de cette bande sonore assez fournie, mais disons quelques mots sur l’expérience: on constate qu’on perçoit et qu’on comprend un certain nombre de choses. Les quelques phrases de dialogues nous donnent des informations parcellaires, les bruitages également, et la musique ajoute une couleur émotionnelle aux différents passages. On ressent donc déjà beaucoup de choses, on reconstitue des fragments de l’histoire, mais il reste de nombreux « trous », des manques qui nous laissent perdus. Nous n’arrivons pas à reconstruire une narration cohérente et nous décrochons. Notre esprit se met à vagabonder, il faut faire un réel effort pour rester concentré et on s’ennuie rapidement. 

Une partie importante de la narration, celle apportée par les images, est manquante, et le mécanisme se grippe. C’est un peu comme une horloge dont on aurait enlevé un des engrenages. 

Il va nous falloir remplacer les images par un autre « moyen de transmission », qui sera donc un texte de description. Pour élaborer ce texte, il faudra nous intéresser aux rapports entre les images et l’ensemble du film : la bande-son, les dialogues, le montage, la musique… Tous les éléments qui interagissent pour constituer la narration qui porte le film. Il nous faut essayer de comprendre comment le mécanisme global du film fonctionne pour pouvoir le remettre en route.

Passons directement au résultat final et écoutons la même séquence audiodécrite.

2- Extrait sonore audiodescription Harry Potter 4 – Le Labyrinthe ( 3 minutes). Le texte de la description est en annexe.

Voilà le travail que nous avons fait pour recréer les images. J’espère que nous avons correctement travaillé et que vous avez pu « voir » le film. Un élément me semble immédiatement frappant, c’est que le même extrait paraît soudain beaucoup plus court. Nous sommes captés par l’histoire, nous nous enfonçons avec Harry Potter dans le labyrinthe.

I-3 Mémoire et imagination/ Reproduction et production d’un monde :

Volontairement, je ne vous montre pas la version originale de la séquence avec les images. J’ai en effet constaté que, si l’on a vu le film avant, la version audiodécrite fonctionne avec les images que l’on a en mémoire. Notre imagination  ne recrée pas ses propres images et ne peut faire que reproduire celles qui ont déjà été vues.  Il est alors difficile de se rendre compte si le texte fonctionne réellement bien. Il me semble que, lorsqu’on n’a pas vu le film avant, on va chercher dans notre cerveau nos propres images dans notre propre catalogue intérieur, que notre imagination peut commencer à produire un monde.

Expérience d’autant plus riche que, comme le dit  Paul Ricoeur dans Métaphore et imagination, « l’imagination à la faculté de se répandre en toutes directions, de réanimer des expériences antérieures, de revitaliser des souvenirs dormants, d’irriguer les champs sensoriels adjacents. » 

Quoi qu’il en soit, c’est sans doute notre mémoire que nous utilisons à chaque fois. Lorsque la description mentionne un élément, par exemple un arbre ou une racine, nous pouvons recréer cette image parce que nous avons en mémoire tout un stock d’images d’arbres et de racines.

Si nous évoquons un objet inconnu, nous sommes incapables de le « voir ». Il nous faut alors fonctionner par analogie pour créer une nouvelle image mentale. 

Je vais essayer maintenant de rentrer un peu plus avant dansles étapes de mon travail et présenter les différents paradoxes auxquels le descripteur est confronté.

Pour définir le but et les moyens de cette transposition, revenons au tout début du processus

En premier lieu le descripteur regarde l’image, regarde le film. Qu’est ce qu’il voit exactement ? Qu’est-ce qu’on « fait » quand on regarde une image? Quelles questions cela soulève-t-il sur l’action de voir un film ? (J’emploie bien sur le mot action volontairement). 

Chapitre II : La perception de l’image.

Intro:

Avant de m’attaquer au  fonctionnement complexe du cinéma, je vais commencer par m’interroger sur la manière dont nous percevons l’image fixe.

II-1- Qu’est-ce que voir une image ? 

J’entends ici par image un objet à deux dimensions ( avec un effet en trois dimensions dans la plupart des cas), contenu dans un cadre matériel défini, fabriqué dans l’intention d’être montré à quelqu’un d’autre pour lui communiquer quelque chose. Pour simplifier, je vais me cantonner, à l’image figurative qui me semble la plus évidemment narrative.

La perception de l’image mériterait certainement que l’on y consacre entièrement un colloque, il existe un nombre considérable de travaux dans ce domaine, issus de différentes écoles parfois contradictoires et malgré tout souvent complémentaires. Mon ambition n’est donc pas de donner une réponse à cette question, mais d’en faire un tour rapide en retenant les éléments qui me sont utiles dans ma pratique professionnelle, de façon pragmatique, et en recherchant plus particulièrement les rapports de l’image avec la narration.

II-1-a: Exemples concrets de perception: Exemple classique gestalt : 

Une image ne peut se réduire à un inventaire. Ce serait une grossière erreur de s’imaginer que l’on peut rendre compte d’une image en se contentant d’énumérer les éléments qui s’y trouvent du premier au dernier. 

Voilà un exemple bien connu qui met en évidence la globalité de l’image, et que « le tout est supérieur à la somme des parties ». Les relations entre les éléments sont prépondérantes dans la perception globale.

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1 Vase de Rubin

En fonction de ce que l’on considère comme étant le fond ou la figure de l’image, ce qui est vu change (soit deux visages, soit un vase.)

Nous pouvons donc déjà nous rendre compte que nous pouvons « voir » deux choses différentes dans la même image en fonction de la manière dont nous la lisons, dont nous l’interprétons.

Je note au passage que les deux images sont porteuses de deux narrations potentielles, si cette image illustrait un récit dans lequel un vase est un objet important, c’est ce que l’on verrait immédiatement. Si l’histoire portait sur deux personnages, c’est la vue de deux visages qui nous apparaîtrait.  

Les images de ce type ont cependant le défaut d’être très schématiques et de s’éloigner des images auxquelles nous sommes confrontées habituellement.

II-1-b: Expériences de Kevin O’ Regan sur la « Cécité accidentelle ».

J’ai recherché des études sur des images plus « habituelles », plus complexes et plus riches. Je me suis intéressé à des travaux récents de J. Kevin O’Regan  actuellement, directeur du Laboratoire de Psychologie de la Perception,
Centre National de Recherche Scientifique.

Je le cite : « Experience is not something we feel but something we do: a principled way of explaining sensory phenomenology, with Change Blindness and other empirical consequences »)

( Que je traduis approximativement par « Percevoir n’est pas quelque chose que nous recevons, mais quelque chose que nous faisons…. »)

Kevin O’Regan nous propose de regarder des images qui sont interrompues brièvement par un « blanc » ou l’apparition de tâches. Un élément change à l’intérieur de l’image et la consigne est de trouver lequel. Toutes ces images animées sont disponibles sur le lien : à compléter.

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2- Premier exemple: le verre de lait

Photo en noir et blanc : un homme en costume cravate montre un verre de lait qu’il tient à la main.

Ici le changement est évident, il saute aux yeux. Il est certain que le verre de lait est un des éléments déterminants de cette image. C’est une sorte de micro narration ou un homme semble vanter les bienfaits du lait. Le verre de lait en est donc un élément essentiel.

3- Deuxième exemple avec une interruption par des taches

Photo d’une avenue d’une grande ville. Une voiture noire suit une fourgonnette blanche qui suit un autobus bleu.

Quel élément change dans l’image ? Cette fois-ci l’élément est beaucoup plus difficile à déterminer. Il faut voir plusieurs fois l’enchaînement des deux images pour le détecter. Pourtant, sa taille est comparable avec celle du verre de lait.

5- Image animée du couple à table.

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Sur l’image de ce couple à table, l’élément qui change ne se détecte pas non plus immédiatement. Ce n’est qu’une fois qu’on l’a découvert qu’on se rend compte de son importance et qu’il nous saute aux yeux.

II-1-c: L’échantillonnage  :

Nous savons que notre perception se fait par échantillonnage continu, une alternance de mouvements de l’œil et de fixations brèves. Nous n’avons conscience, ni de la multiplicité des « vues » successives, ni du flou durant les mouvements oculaires, et nous interprétons de façon illusoire notre perception comme celle d’une scène stable et continue.

L’équipe de Kévin O’Regan a déterminé les mouvements de l’œil opérés dans les premières secondes par les personnes regardant cette image à la recherche de la modification:

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Ils ont constaté qu’au bout de dix secondes, chez les personnes qui pourtant cherchent toujours où est le changement dans l’image, les mouvements de l’œil suivent des trajets très similaires :

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Celui qui regarde l’image semble tourner en rond autour d’un petit nombre de points et négliger « délibérément » une grande partie de l’image.

II-1-d: Le voyage de l’œil.

Le fait de voir ne fonctionne donc pas comme un scanner enregistrant une image, en balayant systématiquement l’ensemble de la zone pour faire l’inventaire des éléments qui s’y trouvent, mais comme la vérification ponctuelle d’éléments qui nous paraissent importants et qui vérifient ce que nous pensons sur l’image.

Le changement dans l’image est donc difficilement détecté, car il n’est pas interprété comme un élément digne d’intérêt, même s’il se trouve parfaitement dans l’axe de vision, au même niveau que les visages des protagonistes qui nous intéressent tant.

Quand nous regardons une image, nous sommes donc, de façon inconsciente, en train d’effectuer un travail important d’interprétation. Nous avons la sensation de percevoir quelque chose qui existe (comme si nous étions un appareil photo ) alors qu’en réalité, sans nous en rendre compte, nous reconstituons ce que nous percevons.

Qu’est-ce qui motive le tri que nous effectuons ?

Citation:

Le tri entre les éléments de l’image ne peut s’expliquer que si l’on admet que la perception visuelle met en jeu, quasi automatiquement, un savoir ou une mémoire sur la réalité visible. 

Ceci m’amène à penser que nous percevons l’image en fonction d’une narration que nous essayons de construire. Ces photos nous ont été présentées sans qu’elles aient été intégrées dans une narration, mais de nous-mêmes nous essayons d’en construire une en faisant appel à notre mémoire et à notre imagination

II-1-d-1:Le tri des éléments et l’embryon d’histoire.

L’image du couple à tableme paraît particulièrement intéressante en raison de son contenu narratif particulièrement évident.

La circulation et les arrêts du regard de l’observateur se font autour des visages de l’homme et de la femme, de leurs sourires, de leurs regards, et des éléments du repas : les assiettes, les verres, la bouteille de vin…

Il me semble que ce choix est conditionné par la mise en place quasi inconsciente d’un début de narration à partir de cette image (qui a manifestement été fabriqué dans cette intention. )

L’atmosphère romantique, les yeux baissés de la femme, le sourire de l’homme qui, lui, regarde la femme, le repas et le vin… Voici les éléments d’une histoire mille fois racontée dans laquelle la rambarde derrière eux n’a pas grand-chose à faire.

Il est certain que si les personnages étaient appuyés au-dessus du vide sur cette même rambarde, elle nous sauterait aux yeux. (Comme le verre de lait dans la première photo)

Notre action de voir est essentiellement motivée par la recherche d’éléments narratifs qui complètent ou corroborent notre début d’histoire. Nous effectuons dans ce but un voyage visuel à l’intérieur de l’image en nous concentrant uniquement sur certains éléments en fonction des relations qui existent entre eux. Et ces relations sont étroitement liées à la narration que nous imaginons ou la narration qui nous guide dans le cas d’une image incluse dans une narration déjà commencée.

Je complèterai cette idée un peu plus loin en parlant du cinéma. Je vais passer d’abord à une approche plus analytique, centrée cette fois sur l’image elle-même.

II-2: Analyse de l’image et liens avec la description.

II-2-a La composition, mythes et réalités. 

J’insiste sur l’aspect narratif de l’image, mais elle a aussi, bien évidemment, un aspect « plastique » qui va conditionner sa lecture.

La manière dont l’image est composée, c’est-à-dire la manière dont les différents éléments sont organisés à l’intérieur du cadre, joue également un rôle très important dans notre perception.

La composition a donné lieu à une très importante littérature, comme la théorie du nombre d’or, la règle des tiers, etc. Il n’est pas inintéressant de connaître toutes ces théories qui ont eu une influence prépondérante dans l’histoire de l’art, mais dans notre cas, nous allons nous efforcer des les oublier au moment de regarder une image. On constate d’ailleurs qu’il y a beaucoup d’images marquantes qui ne les respectent pas et d’images sans intérêt qui les respectent.

Disons simplement que l’image est organisée spatialement et visuellement. Elle est fabriquée selon un certain point de vue. Elle peut se servir d’innombrables effets. Par exemple pour n’en citer que quelques-uns,  la symétrie (ou l’absence de symétrie, le déséquilibre),  le parallèle ou l’opposition,  la mise en valeur d’un élément en jouant sur sa taille, son centrage ou son décentrage, sa position dans l’échelle des plans lorsqu’il y a l’utilisation de la perspective (premier plan, deuxième plan, arrière-plan, etc.), le flou ou la netteté et toutes les différentes textures. Notons rapidement également l’infinité de possibilités apportées par l’usage de la lumière, les effets de contraste ou de fondu. L’usage des couleurs (ou leur absence) qui contribue à « l’ambiance » de l’image, à son climat, à son style.

Le cadre délimite aussi le hors champ, ce qui n’est pas montré, mais qui pourra être suggéré de façon plus ou moins puissante.

Les éléments de l’image peuvent avoir une valeur symbolique forte, comporter tout un univers de connotations

Cette image pourra être considérée comme belle ou laide, et par la même déclencher ou non un plaisir d’ordre esthétique.

(Je sépare ici l’aspect purement plastique de l’image de ses aspects narratifs, mais cette séparation est artificielle. Ces deux aspects sont intimement liés, leur perception est globale et synthétique.)

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– L’écluse de Willy Ronis

Willy Ronis parle de cette composition comme d’une composition « musicale », avec plusieurs lignes mélodiques simultanées: 

« Et là, sur ma photo, en un geste, sans avoir eu à bouger, j’avais trois plans: le plan inférieur de la petite fille, un deuxième plan de deux mariniers en train de manœuvrer, et sur le quai, en haut, d’autres personnes qui étaient des bateliers ou des éclusiers. Chacun était tranquillement dans son histoire, mais ensemble. Moi qui suis un passionné de musique et qui voulais être compositeur, ça me rappelle exactement ce qu’on lit sur une partition, c’est-à-dire les différentes lignes mélodiques, superposées, avec les portées que l’on voit les unes au-dessus des autres?: et, sur chaque portée, il y a toujours quelque chose de nouveau, d’inédit, qui se passe. C’est l’harmonie de l’ensemble qui compose le morceau. Et c’est ce qui donne tout son sens à l’image ». Willy Ronis. « Ce jour là » Gallimard 2008 )

II-2-b Passerelles entre image et texte.

Style, symétrie, métonymie, épure ou emphase, parallèle et opposition, dénotation et connotation, contraste, suggestion, évocation, métaphore, symboles, esthétique, plaisir et poésie… La plupart des processus utilisés par l’image sont également utilisés par le langage verbal.  Tout simplement sans doute parce que le langage apparaît comme le modèle de base de tout phénomène de communication et de signification. 

Des études ont constaté que la compréhension de l’image visuelle intervient, chez le jeune enfant, en même temps que l’acquisition du langage parlé et en relation avec celui-ci. (Julian Hochberg et Virginia Brooks 1962. Jacques Aumont dans « L’image » -Armand Colin.

Le rapport est encore plus évident dans certaines images que nous avons pu voir et dans les images de cinéma en particulier parce qu’elles ont toutes été fabriquées intentionnellement, à partir d’un texte, d’un scénario.

Il s’agira pour le descripteur de prendre conscience de ces passerelles entre texte et image et de savoir les emprunter avec talent.

Continuons l’exploration analytique.

II-2-c Analyse de l’image (suite) : La multi-réalité des images

Une image « contient » plusieurs « réalités », ou plusieurs « histoires », plusieurs narrations.

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– 1 Réalité matérielle : C’est,par exemple, un rectangle de telle longueur sur telle largeur, en papier, en toile tendue sur un cadre de bois, ou c’est un écran de cinéma ou un écran vidéo de telle ou telle technologie…  L’image peut être fabriquée avec de la peinture, ou de l’encre, ou par une projection de lumières, en noir et blanc ou en couleur, etc. Tout ce qui apparaît du matériau et de la fabrication de l’image. Ici nous avons un photogramme en noir et blanc, cadré sur le buste des deux personnages, avec un axe un peu décentré, en contre-plongée, légèrement floue (texture douce), etc.

-2 Réalité représentée extra-dégétique : 

Cette image représente Marilyn Monroe et Tony Curtis en train de tourner le film « Certain l’aime chaud ». C’est la réalité représentée qui est en dehors de l’histoire du film ou extra-diégétique.

-3 Réalité représentée diégétique : C’est la belle Sugar dans les bras de Joe, qui se fait passer pour un milliardaire pour la séduire. Sugar pose amoureusement la main sur l’épaule de Joe et lui sourit, ses lèvres sont proches des siennes… Réalité interne à l’histoire, réalité diégétique. 

( Cette troisième réalité est censée ne pas exister dans le cas d’une photo de reportage ou d’un film documentaire, mais la réalité est plus complexe puisque les photos « documentaires » sont aussi mises en scène et contiennent une part fictionnelle, mais c’est un autre sujet.)

Trois réalités pour trois narrations :

Ces trois réalités développent trois narrations différentes.

La première réalité, celle de la fabrication, est déjà porteuse d’une histoire. Elle nous raconte l’histoire du peintre et de son tableau, du photographe et de son sujet. Pour le cinéma, l’image nous raconte une partie du tournage du film, les choix techniques et artistiques du réalisateur.

La deuxième réalité nous raconte l’histoire de Marilyn Monroe et de Tony Curtis, histoire en l’occurrence particulièrement riche en événements et en émotions.

La troisième réalité nous raconte l’histoire du film, celle qu’a souhaité nous raconter le réalisateur et le scénariste.

Cette distinction est, encore une fois, en partie artificielle puisque ces trois réalités sont perçues en même temps, elles sont dépendantes les unes des autres.

Il est certain que la manière dont l’image est fabriquée va directement conditionner notre perception de la narration du film. Les histoires personnelles de Marilyn et de Tony Curtis vont aussi influencer la manière dont nous percevons aujourd’hui les personnages qu’ils interprètent.

Ces trois narrations imbriquées sont aussi potentiellement destructrices les unes pour les autres. Pour pouvoir nous immerger dans l’histoire du film, nous allons devoir oublier momentanément que ce film est un objet entièrement fabriqué par une équipe technique au grand complet. Pour rire aux scènes comiques de Sugar et Joe, nous devrons oublier le destin tragique de Marilyn dans sa vie réelle.

Il s’agira pour le descripteur de faire  des choix entre ces trois réalités, entre ces trois narrations, et ces choix seront différents en fonction des oeuvres à décrire et en fonction de l’objectif narratif du descripteur.

La réalité de la fabrication sera certainement très développée dans la description d’un tableau. En revanche, dans la description d’un film de fiction, le descripteur ne pourra aborder une description de la fabrication sans mettre en danger l’immersion du spectateur dans le film.

Est-ce que je décris la technique de tournage du film, ce qui intéressera les cinéphiles ou les étudiants en cinéma ? Ou bien est-ce que je décris la réalité diégétique afin de plonger le spectateur dans le film, comme un spectateur lambda ?

Le descripteur devra impérativement comprendre quels sont les rapports entre ces réalités pour faire un choix juste dans sa description.

II-3- Obstacles. Les impossibilités, les pertes… 

Nous venons de voir ce qui rendait notre travail possible, ce qui le guidait, voyons maintenant une de nos difficultés majeures : le temps.

II-3-a

Le temps représenté dans l’image : de la surprise à la contemplation.

Comme chacun sait, une photographie est parfois appelée un « instantané », insistant sur la captation d’un instant très court. Henri Cartier-Bresson parlait de « l’instant décisif » pour ses photos. Il définissait la photographie comme  » la rencontre de l’instant et de la géométrie ». En voilà un exemple :

– Photo de Cartier Bresson.  » La gare Saint-Lazare ».

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Un homme saute au-dessus d’une immense flaque. Sa silhouette figée en vol se reflète , inversée, dans le miroir de l’eau.

Cette photo crée un effet de surprise. Sa qualité vient en grande partie de son immédiateté, aussi bien dans la prise de vue que dans sa perception. Ce n’est pas forcément le cas et le temps représenté par l’image, même par l’image photographique, et par l’image picturale à fortiori, n’est pas forcément un instant figé. 

La contemplation :

Cela peut être une certaine durée, voire même toute une histoire dans certains tableaux qui représentent dans le même cadre divers moments d’une narration (on pense aux tableaux représentant des scènes de la mythologie ou de la Bible, comme ce Persée et Andromède par exemple qui est presque un petit film et qui demande un certain temps pour être décodé  ). Nous prenons le temps d’aller et venir dans le tableau et surtout de revenir et revoir certains éléments le nombre de fois qu’il nous convient.

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École allemande, Persée délivrant Andromède,

huile sur toile, fin du XVIe siècle

II-3-b Le temps de perception de l’image et le temps de perception du texte:

La vue nous donne une sensation immédiate, même si nous savons qu’il s’agit en fait d’une exploration. Que cette exploration soit ultrarapide ou très lente, nous restons maîtres du temps que nous y consacrons. D’une seconde à plusieurs heures si nous le souhaitons.  Elle nous implique physiquement avec l’objet regardé et utilise un de nos sens premiers. 

Certains éléments sont vus de façon quasi simultanée, et c’est cette simultanéité qui parfois crée le sens ou la beauté de l’image ( comme dans la photo de Willy Ronis « l’écluse » et ses trois plans simultanés).

Le texte est un codage qui va nécessiter un travail de décodage pour être compris et perçu. C’est une opération plus lente, plus intellectuelle, moins physique et instinctive que la vision 

Le texte est soumis à une chronologie inévitable et imposée. Il y a forcément un début, un milieu, une fin. C’est particulièrement sensible pour les déficients visuels puisque le texte est dit par un comédien qui impose donc également son rythme de lecture. 

Le texte est aussi beaucoup plus rigide dans son utilisation de la répétition. A l’écoute du texte, on pourra difficilement revoir, ce qu’on n’a mal « vu ».

Le temps du texte et le temps de l’image obéissent donc à des règles différentes. Il paraît impossible d’avoir une perception globale immédiate d’un  texte comme on le fait d’une image. Nous allons néanmoins tout faire pour dépasser cet obstacle. 

En revanche, il est certain que le langage a des possibilités d’expressions de la temporalité incomparablement plus riches et plus complexes que l’image. Mais nous allons justement nous limiter dans ces utilisations pour être au plus près de la manière dont l’image exprime cette temporalité.

II-4: Conclusion sur la perception de l’image fixe:

Implications pour le descripteur : L’approche phénoménologique.

Chaque image a son propre mode de fonctionnement. 

Le descripteur devra donc avant tout la recevoir sans lui appliquer une grille de lecture préconçue afin de se laisser « surprendre », la laisser imprimer sur lui sa marque singulière, ou plutôt se laisser l’interpréter de façon spontanée. 

 Ce n’est qu’ensuite que le descripteur pourra questionner son expérience, analyser l’image, déterminer quelles sont les relations qui existent entre les éléments les plus importants pour pouvoir élaborer un texte de description qui restitue de façon aussi fidèle que possible la perception de l’image.

Comme nous l’avons vu, nous opérons un voyage à l’intérieur de l’image, en nous déplaçant rapidement sur les éléments qui nous intéressent. Nous tournons en rond, nous revenons aux mêmes endroits en fonction d’une narration en cours de construction… C’est un voyage autant dans les sensations que dans les significations.

C’est ce voyage visuel qu’il nous faut retrouver et recréer par un voyage verbal.

Chapitre III- La perception du film.

III-1 Intro : Approche phénoménologique. L’ immersion.

Le cinéma propose une expérience différente de celle de l’image fixe. La spécificité de cette expérience a été très bien décrite par Merleau-Ponty dans son texte sur la perception du cinéma lors de sa conférence « Le cinéma et la nouvelle psychologie » (paru dans « Sens et non-sens ») dont je me permets d’extraire quelques phrases.

Ce texte de Merleau-Ponty est fondateur pour notre pratique d’audiodescription et permet de définir quel doit être le projet fondamental du descripteur par rapport au film qu’il doit adapter.

Merleau-Ponty parle d’abord de la perception et de son aspect global, synthétique :

« Ce qui vient le premier dans notre perception, ce ne sont pas des éléments juxtaposés, mais des ensembles. »

« Ma perception n’est donc pas une somme de données visuelles, tactiles, auditives, je perçois d’une manière indivise, avec mon être total, je saisis une structure unique de la chose, une unique manière d’exister qui parle à la fois à tous mes sens ».

Merleau-Ponty envisage la perception de manière charnelle comme immersion dans un monde. Cela s’applique bien sur tout particulièrement au cinéma qui fait intervenir plusieurs sens en même temps, plusieurs formes artistiques intégrées les unes aux autres: textes, images, musique…

« Le film n’est pas une somme d’images, mais une forme temporelle. »

(Merleau-Ponty cite l’expérience connue sous le nom de « l’effet Kouletchov », dans laquelle le même plan du visage d’un acteur est monté successivement avec les images d’un repas dans une assiette, d’une petite fille morte dans un cercueil puis d’une jeune femme sur un sofa. Le visage de l’acteur semble exprimer des sentiments très différents en fonction des images qui précèdent: la faim avec l’assiette, la peine avec la fillette morte et le désir avec la jeune femme)

« Le sens de l’image dépend donc de celles qui la précèdent dans le film et leur succession crée une réalité nouvelle qui n’est pas la simple somme des éléments employés »

Le même phénomène de globalité se produit avec l’ajout de l’univers sonore. Cela crée « un tout irréductible aux éléments qui entrent dans la composition du film« . Une forme temporelle, visuelle et sonore cohérente, une unité indivisible. Merleau-Ponty utilise le terme  » d’unité mélodique ». Il dit d’ailleurs à propos de la musique du film qu’elle ne doit pas s’y juxtaposer, mais s’y incorporer. Le descripteur peut en faire aussi sa devise, sa description ne doit pas simplement se juxtaposer au film, mais s’y incorporer.

III-2 : Quel est le sens du film ?

Merleau Ponty : « Que signifie, que veut donc dire le film ? Chaque film raconte une histoire, c’est-à-dire un certain nombre d’évènements qui mettent aux prises des personnages et qui peuvent être aussi racontés en prose, comme ils le sont effectivement dans le scénario ».

Ces événements, cette histoire, constitue son matériau, mais, de la même manière que pour la poésie et le roman, la fonction du film n’est pas simplement de nous signifier les faits et les idées contenus dans l’histoire. Les faits et les idées ne sont que les matériaux de l’art.

Un film signifie en s’adressant à notre pouvoir de déchiffrer tacitement le monde ou les hommes et de coexister avec eux.

Le film a donc une signification, mais elle n’est pas qu’intellectuelle. Les idées sont effectivement exprimées, mais dans une immersion corporelle qui fait sens. Le film apporte une expérience, une rencontre entre soi-même et le monde du film.

M-p :  » Le film ne se pense pas, il se perçoit. (…) 

Voilà pourquoi l’expression de l’homme peut être au cinéma si saisissante : le cinéma ne nous donne pas, comme le roman l’a fait longtemps, les pensées de l’homme, il nous donne sa conduite et son comportement, il nous offre directement cette manière d’être au monde, de traiter les choses et les autres, qui est pour nous visible dans les gestes, le regard, la mimique, et qui définit avec évidence chaque personne que nous connaissons ».

III-3 : Perception du film et Audiodescription

Ce texte de Merleau-Ponty définit mon objectif, ma mission de descripteur :recréer cette immersion au film dans sa spécificité et son intensité.

Encore plus que pour l’image fixe, le descripteur doit avant tout faire l’expérience « physique » du film, ressentir les sensations, les émotions qu’il lui apporte et le comprendre intuitivement, « corporellement », sans idées préconçues. Ce n’est qu’ensuite qu’il pourra analyser la fabrication du film, découper les images et les séquences, disséquer le fonctionnement de la bande-son du film pour finir par transposer le visuel en texte. 

Il faudra faire éprouver, faire voir les images, leur apport narratif, leur charge émotionnelle, leur valeur symbolique, leur connotations, leur esthétique, leur poésie, leur style, le plaisir qu’elles procurent… 

Chapitre IV: La transposition en texte.

Maintenant il va nous falloir écrire quelque chose, nous sommes devant le film d’un côté  et notre feuille blanche  de l’autre. Nous allons donc à priori nous concentrer sur la réalité de l’histoire, la réalité diégétique, et mettre de côté la réalité de la fabrication de l’image, extra-diégétique, mais ceci mérite d’être nettement nuancé :

IV-1 Réalité diégétique et extra diégétique.

Je vais insister sur cet aspect parce que je crois que la tentation spontanée d’un descripteur novice est de dire  » la caméra fait ça, la caméra fait ci » alors qu’il est extrêmement rare dans un film de voir véritablement une caméra se promener sur l’écran et que le résultat quasi immédiat de ce type de description entraîne une destruction immédiate de l’immersion dans la réalité de la narration.

La plupart des films font tout pour faire oublier la réalité de la fabrication (extra-dégétique) pour nous plonger le plus profondément possible dans la réalité de l’histoire (diégétique). 

D’autres vont parfois jouer sur la frontière entre ces deux réalités ou faire exister conjointement plusieurs réalités. Ils utilisent un effet de métalepse narrative et sautent les limites de la narration.

On pourra citer la réplique bien connue de Belmondo dans « Pierrot le fou » de Godard: « A qui tu parles ? » lui demande Marianne, et il répond face à la caméra « aux spectateurs ». Dans le cas de Godard, on se trouve dans un style de cinéma qui s’efforce de rompre avec le style classique et cherche à « de ne pas être dupe » de « casser l’illusion », il tend donc à lutter contre l’absorption dans le film peut être pour laisser la place davantage à la réflexion.

Pour ma part, il me semble que le spectateur n’a pas besoin d’être protégé de l’absorption, il est capable de voir tout seul les « signaux de jeux » que lui envoie le dispositif du cinéma. Il sait bien qu’il est assis dans une salle, devant un écran, qu’il assiste à une fiction. Si d’ailleurs il peut prendre du plaisir à être plongé dans des scènes épouvantables, c’est qu’il sait qu’il est confortablement assis en sécurité.

Mais c’est un autre sujet et l’audiodescripteur ne doit pas se positionner comme un critique de cinéma.

Cet effet a d’ailleurs été utilisé dans des comédies très populaires (Darry Cowl dans « le triporteur » parle au public, Lemmy Caution dans « A toi de faire Mignone » se tourne vers la caméra et demande « Qu’est ce que vous auriez fait à ma place ? « etc.) C’est un effet d’aparté au public qui fait penser aussi aux vieux codes de la comédie au théâtre. Il crée une sorte de clin d’œil, de connivence. 

Dans un style complètement opposé, un autre effet utilisé dans le cinéma d’action moderne pourrait être interprété comme une métalepse narrative : par exemple dans « Jeanne D’Arc » de Luc Besson, lors de scènes de bataille violentes, la vitre de la caméra est éclaboussée de sang. Quoi qu’on pense de la délicatesse du procédé, peut-être n’est-ce en fait nullement une tentative de « casser l’illusion » en faisant apparaître la vitre de la caméra, mais au contraire une tentative d’immersion du spectateur dans le feu de l’action. La vitre de la caméra joue le rôle de « l’oeil » du spectateur à la manière des jeux vidéos dans lesquels le joueur peut voir le monde du jeu en plan subjectif à travers son écran.

Le film « Cachés » de Michael Haneke présente un exemple beaucoup plus intéressant que les exemples cités plus haut. Dans cette histoire, un présentateur de la télévision reçoit des cassettes vidéo dans lesquelles il est filmé à son insu dans différents moments de sa vie. Michael Haneke construit son film en nous laissant sans cesse douter du statut de l’image que nous voyons à l’écran. Est-ce l’image du film, ou l’image du film dans le film? Il nous rend ainsi particulièrement vigilants à la fabrication de cette image. Cette fabrication joue un rôle fondamental dans cette narration à tiroirs et c’est ce que nous avons essayé de recréer, Marie-Luce Plumauzille et moi, en décrivant ce film.

Toutes ces tentatives de briser le cadre conventionnel de la construction diégétique aboutissent simplement à créer un monde bis, emboîté dans le précédent. Ils nous amènent à redéfinir le monde fictif du film et à en définir  un autre tout aussi fictif, mais qui obéit à des règles un peu différentes. (Laurent Jullier « L’analyse de séquences » Armand Colin Cinéma.)

Nous allons nous attacher, dans la création de notre texte de description, à faire le même type de choix que le film et respecter sa relation avec le monde diégétique et ses éventuelles « ruptures du pacte de crédulité ».

IV-1-a : Le descripteur est-il extérieur à l’histoire ? Est-il « neutre »?

On avance parfois la supposée neutralité du descripteur. Je voudrais tordre le cou à ce cliché. La neutralité n’a rien à faire là, nous avons ici besoin d’engagement. L’idée que nous pourrions réussir l’immersion dans une narration en y restant froidement extérieurs est un parfait non-sens. Elle révèle l’ignorance du sujet ou la volonté de rabaisser la description à un procédé technique sans âme qui aura surtout pour effet de détruire les oeuvres auquel il est appliqué.

IV-2-a –La caméra narratrice. 

L’œil aux super pouvoirs :

La caméra correspond en quelque sorte à un œil. C’est le point de vue d’un sujet virtuel, le point de vue de quelqu’un qui n’apparaît pas, d’un œil qui serait dans l’histoire, mais qui reste invisible aux protagonistes comme aux spectateurs.

Cet œil a des pouvoirs extraordinaires, il peut s’approcher ou s’éloigner, changer de focale (du grand-angle au téléobjectif), il peut voler en tout sens, passer d’un côté à l’autre (champ, contre champ), traverser les murs, voir de l’intérieur des objets, prendre le point de vue subjectif d’un personnage pendant quelques instants puis retrouver son indépendance et redevenir omniscient. Ne montrer qu’une partie des évènements, en cacher d’autres…

Il jouit d’une liberté surnaturelle et se permet à peu près tout. On constate rapidement qu’il est vain de vouloir retranscrire toutes ses positions, tous ses points de vues qui se succèdent avec une trop grande rapidité. Le texte est plus lent, il se lie à une logique plus exigeante et plus stricte. En revanche on s’attachera à retrouver ses points de vue les plus importants.

Limitations volontaires:

L’œil caméra, en revanche, a aussi de grandes limitations. Il n’a que le pouvoir de montrer, de faire voir, et une grande partie des richesses de sens apporté par la syntaxe du langage lui sont inconnues. Il ne peut pas commenter ou expliquer. Il est limité à une sorte de présent de l’indicatif permanent. Il ne peut dire que « il y a ça maintenant » mais il ne peut pas dire « il n’y a pas ».

IV-3

Attention à la dérive explicative du texte.

Il s’agira de remplacer cet « œil  » qui opère la narration visuelle, en ne débordant pas de son rôle. 

On s’attachera à faire voirsans expliquer ou commenter.

Les mots peuvent nous entraîner facilement vers les domaines intellectuels de l’explication et du commentaire. Le descripteur doit s’interdire de les utiliser de cette façon et se concentrer sur leur capacité à convoquer les images justes chez le spectateur.

C’est une règle à nuancer puisque souvent la description pure doit s’accompagner d’un complément d’interprétation, une image pouvant avoir toute une série de significations. (Exemple : il écarte les mains – pour l’accueillir? De découragement? Etc.) Mais le descripteur ne doit jamais oublier qu’il est là avant tout pour recréer des images, et surtout pas pour commenter ou expliquer.

IV-4

La contrainte du temps. Les choix : une rude négociation

La narration implique une chronologie, un rapport au temps. Le temps est encore une fois notre contrainte majeure puisqu’en sus des difficultés fondamentales que pose l’image fixe, nous allons être confrontés à la nécessité de suivre et de respecter le temps imposé par le film.

Cette temporalité sera souvent signifiée par d’autres éléments associés à l’image plus que par l’image elle-même. En dehors des éléments d’informations temporelles apportés par les dialogues, c’est le montage qui permettra principalement d’exprimer l’écoulement du temps. 

La réalité du temps du film joue également un rôle prépondérant, la durée effective des plans et des séquences donne au spectateur une expérience réelle qu’il nous faudra préserver.

Il faudra nous incorporer à  la bande sonore tout en l’occupant le moins possible. On se rend compte assez vite que trop de description tue la description. La quantité de texte que l’on peut ingurgiter et décoder est réduite. Il faudra se limiter drastiquement pour laisser respirer le film et ne pas l’ensevelir et l’étouffer sous la parole.

Dans notre écriture, nous sommes tenus à la concision et à la précision maximum.

Cette limitation très stricte va nous obliger à couper beaucoup, à ne choisir que l’essentiel. Nous allons donc devoir beaucoup négocier pour trouverla meilleure solution, ou en tout cas, la moins mauvaise.

IV-4-b. La voix nous apporte la sensation immédiate :

Dans ce combat difficile avec le temps, nous avons tout de même quelques armes, quelques moyens.

Le texte de description sera interprété par un comédien ou quelqu’un capable de transmettre les milles et une nuances qui permettent à un texte d’exprimer l’image. Au cinéma particulièrement, mais aussi dans la description de l’image fixe, il nous faudra utiliser toutes les émotions, toutes les subtilités que peut faire passer une voix de façon aussi rapide et instinctive que l’image. 

Les nuances de la voix, l’empathie qu’elle crée avec le spectateur, permettent de retrouver l’immédiateté des sensations provoquée par le visuel.

C’est pour cela que la voix ne devra surtout pas être neutre, mais s’engager pour restituer le climat du film. En même temps elle devra garder une grande sobriété, pour ne pas être intrusive et parvenir à provoquer les sensations sans jamais les imposer.

Conclusion:

Pour conclure ce tour d’horizon de l’audiodescription au cinéma, voici ces quelques phrases extraites de la conclusion de la conférence de Merleau-Ponty :

« Une bonne part de la philosophie phénoménologique consiste (…) à faire voir le lien du sujet et du monde, du sujet et des autres, au lieu de l’expliquer, comme le faisaient les classiques, par quelques recours à l’esprit absolu. Or le cinéma est particulièrement apte à faire paraître l’union de l’esprit et du corps, de l’esprit et du monde et l’expression de l’un dans l’autre. « 

C’est bien grâce à une approche phénoménologique, par cette expérience sensitive et libre, que nous devons aborder le film. Ce n’est qu’en ayant ainsi vécu cette immersion que le descripteur pourra recréer l’expérience que propose le film en écrivant sa description. Il se limite strictement à la restitution fidèle de l’apport narratif et sensible du visuel. Il s’interdit d’expliquer, de juger et de raconter le film à la place du film, cherchant constamment un équilibre idéalisé entre l’implication de sa sensibilité et sa recherche d’objectivité.

Le descripteur se veut être un passeur d’un monde à un autre, discret à défaut d’être invisible, sensible et sincère. Il cherche avant tout à s’incorporer au film pour recréer l’empathie du spectateur, lui faire voir presque le même film pour le voir ensemble, le faire participer aux mêmes histoires pour participer au monde.

Annexe : petit atelier pratique

Voici quelques cas de figure concrets dans la séquence du labyrinthe de « Harry Potter et la coupe de feu » dans laquelle j’ai fait des choix et des coupes importants, des choix d’images, des choix de points de vue notamment. 

 (3- extrait Harry Potter 4- Labyrinthe, son + images – 2 minutes).

Début de la séquence du labyrinthe :

Le début de la séquence est une succession d’actions courtes et rapides qui présentent le comportement d’Harry et de Cédric juste avant d’entrer dans le labyrinthe. La description est très factuelle, elle se cantonne surtout aux actions, il n’y a ni adjectif, ni adverbe. Le film offre une alternance de plans et une caméra assez mobile qui reste au niveau des personnages. Elle fonctionne comme un « témoin de l’histoire », mais elle va prendre rapidement plus de liberté et de pouvoir. Sans doute parce que dans la suite de la séquence, il n’y a presque plus de dialogues et que tout est « raconté » par cet œil qui nous montre ce qui se passe.

Je ne cherche pas à expliquer tous les plans, c’est impossible et je tomberai dans l’explication laborieuse de la fabrication du film. Je cherche à dégager la perception d’ensemble des enchaînements de plans qui servent à poser les attitudes et les actions des différents personnages.

20:22:09: Concurrents, venez ici. Dépêchons !

Ils font cercle autour de Dumbledore.

20:22:33: Champions, préparez vous.

Ils vont chacun se mettre à une entrée du labyrinthe.

20:22:36:

Harry se place à côté de Maugrey.

Dans les deux phrases suivantes, la partie comportementale et émotionnelle des personnages est prise en charge par l’interprétation, elle passe dans la voix du descripteur plus que dans le texte.

22:39:  

Cédric va à côté de son père qui le serre dans ses bras. (tendresse, chaleur)

20:22:46: (respect, retenue, froideur)

Harry et Cédric se saluent d’un signe de tête.

20:22:52:

Attention à 3. 1… boum ! 

Rusard a fait partir le canon.

(Tentative de rendre l’effet de surprise, l’effet comique, dans la voix. Difficulté due à la rapidité)

les nuances de jeu des personnages sont ici apportées par les nuances de la voix de description plus que par le texte qui reste volontairement peu « qualifiant ». 

Nous avons une succession de plans avec des changements importants de point de vue,  et notamment un plan subjectif de Harry lorsqu’il se retourne vers Maugrey et Dumbeldore.

20:22:55

Maugrey tape sur l’épaule de Harry pour l’encourager (commentaire explicatif, lorsque le geste risque d’être ambigu). L’élève sorcier entre lentement dans le labyrinthe: une allée longue et étroite part droit devant lui et se perd dans une brume bleutée.

20:23:05:

Harry se retourne vers Maugrey qui pointe discrètement le doigt vers le côté gauche de l’allée.

20:23:10:

Le jeune garçon a un petit sourire inquiet, Dumbledore jette un regard soupçonneux dans leur direction.

20:23:15:

Les grands arbres se resserrent et ferment l’entrée. (synchronisme avec le bruitage qui nécessite une description)

Le passage suivant mérite aussi un commentaire: nous avons deux plans très différents qui s’enchaînent.

– Un très gros plan assez long du visage du héros face caméra, stressé et angoissé par l’épreuve à venir.  L’acteur est face caméra, mais il n’y a aucune volonté d’effet extra-diégétique ici. Harry Potter ne nous regarde pas, la caméra fait un gros plan sur lui, mais on considère qu’elle est invisible.

– Un plan éloigné de l’allée du labyrinthe à 180 ° du plan précédent. Harry est cette fois de dos, il est déjà très engagé dans l’allée et sa silhouette paraît très petite. La caméra s’élève et  nous montre l’étendue, l’immensité du paysage, à la fois beau et inquiétant.

On peut noter que cet enchaînement pourrait poser des questions de logique. Pourquoi cette opposition gros plan puis plan éloigné à 180 ° ?

Quoi qu’il en soit, lors du premier visionnage, on est « pris » dans l’action et on ne se pose pas la question. Le gros plan nous met en empathie avec le personnage, nous fait ressentir son angoisse. 

Le plan éloigné nous fait ressentir sa fragilité, il est tout petit dans cet univers inquiétant. L’élévation soudaine donne la sensation d’un élément irrationnel et omnipotent qui observe l’action, la domine dans tous les sens du terme. Cela peut être lu de deux manières: 

– une métaphore des puissances irrationnelles et magiques qui agissent dans l’histoire.

– Un effet de métalepse narrative, on s’envole comme dans un manège forain, on sort de l’histoire, mais on est dans le « grand spectacle ». 

J’opte résolument pour le choix de l’effet métaphorique.

Il y a également un effet de courte ellipse temporelle entre les deux plans. Dans le plan éloigné le personnage est déjà bien engagé dans l’allée alors que juste avant il venait de passer l’entrée.

Coupes et négociation :

J’ai choisi de ne pas décrire le gros plan qui existe de façon sonore grâce à la respiration oppressée que l’on entend en gros plan également. Il m’a semblé qu’on l’attribuait bien à Harry , l’image sonore est très nette, et elle est plus efficace qu’une phrase de narration qui l’aurait masquée.

Ensuite je me suis posé la question concernant la montée de caméra et cet élargissement sur une vue presque aérienne. 

J’aurai pu dire « on s’élève entre les arbres et on domine le labyrinthe » pour retranscrire l’effet visuel que nous procure la montée de la caméra (qui est posée sur une grue manifestement).

Cela m’obligerait à faire intervenir le « on », un personnage indéfini peut être, mais déjà beaucoup trop présent comparé au caractère invisible, immatériel de l’œil caméra. J’aurai pris alors l’option d’une interprétation « extra diégétique » du mouvement de caméra.

J’ai donc choisi au contraire de ne pas décrire ce mouvement précisément, mais simplement ce qu’il nous montre d’essentiel. J’ai cherché dans l’image ce qui avait retenu mon attention et qui servait le plus le récit, j’ai gardé une seule phrase :

20:23:26:

Harry s’enfonce dans l’immense labyrinthe brumeux qui s’étend à perte de vue, dans une large vallée encadrée de montagnes.

Voyons la suite :

20:23:41:

Il arrive à un carrefour. Deux allées partent sur sa gauche.

20:23:45:

Il hésite.

23:49:

Il regarde derrière lui.

20:23:55:

Le soir tombe sur l’immense dédale de verdures.

On retrouve l’alternance entre des plans assez rapprochés des personnages et des plans très larges qui installent le décor dans son ensemble.

20:24:05:

Cédric Diggory court dans une allée.

20:24:11:

Il tourne sur sa gauche… (23:13: ) Et s’arrête à un croisement.

20:24:15:

Un long passage s’ouvre à gauche, le fond disparaît dans le brouillard.

24:19:

Cédric repart en arrière.

24:21:

Les arbres se referment sur lui.

20:24:29:

Cédric lutte pour passer entre les branches.

20:24:34:

Sa baguette serrée dans son poing comme une arme,  Viktor avance dans le brouillard.

Voilà encore l’exemple de gros plans que je n’ai pas forcément décrits, essentiellement pour un problème de temps.  On voit d’abord la baguette dans la main du personnage, puis ses pieds qui foulent le sol, avant de le voir de trois quarts dos. 

L’enchaînement insiste sur le côté menaçant de l’objet qui peut être utilisé comme une arme, puis crée un certain suspens en posant la question « qui est-ce qui avance comme ça » ?. 

La phrase « Sa baguette serrée dans son poing comme une arme » permet de transposer le gros plan et de faire intervenir l’information sur le personnage aussi tard que possible. 

En revanche le gros plan sur les chaussures m’a paru suffisamment « visualisé » par les bruits de pas très présents qui transmettent l’avancée puissante du personnage, comme la respiration oppressée d’Harry Potter faisait « voir » son inquiétude.

20:24:43:

Harry se retourne.

24:47:

Il continue à avancer.

24:50:

La tête de Viktor Krum apparaît  derrière un arbre: ses yeux sont devenus vitreux.

20:24:55:

Fleur court dans demi-obscurité.

20:24:58:

Elle tourne sur elle-même, paniquée et repart en sens inverse.

20:25:05:

Elle s’immobilise à un croisement, le visage baigné de sueur. Elle est devant une allée déserte.

20:25:10:

Quelque chose fonce sur elle par-derrière.

Ce dernier plan est intéressant en raison de sa double caractéristique : subjectif et elliptique. On est soudain « à la place » de ce qui fonce sur la jeune fille, alors que nous ignorons de qui ou de quoi il s’agit ! Nous pourrions nous identifier à lui si nous savions qui il était. Le plan se coupe d’ailleurs avant que la réponse nous soit donnée. 

On est dans un exemple flagrant de « coupure » volontaire de la narration où les personnages en savent plus que le spectateur. Le narrateur omniscient joue avec nos nerfs ! Le double caractère serait trop long à décrire dans le temps imparti et j’ai choisi de ne garder que l’action de foncer sur la jeune fille et l’incertitude sur l’entité qui menace.

On peut aussi remarquer, comme dans le plan sur Victor Krum et de façon encore plus franche, que l’image ne peut que nous dire « Il y a », mais pas « Il n’y a pas ». 

Ici, il y a quelque chose qui fonce sur la jeune fille : elle le voit, mais nous non. Le texte pourrait dire à la limite « on ne voit pas », mais dans ce cas on sortirait de la sphère des possibilités de communication de l’image. J’ai donc évité d’utiliser une phrase négative.